L’information est passée totalement inaperçue, ce qui en dit long sur la tolérance à ce type de transferts entre le public et le privé. Dans un communiqué (.pdf) publié le 10 avril dernier, la FNAC annonçait la nomination d’Elodie Perthuisot au poste de directrice de France Billet et Fnac Voyages. Or Elodie Perthuisot était jusqu’alors la directrice du cabinet du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, un poste de haut fonctionnaire qui l’a nécessairement amenée à rencontrer régulièrement la FNAC ou d’autres filiales du groupe PPR, notamment pour discuter de la lutte contre la contrefaçon dans le secteur du luxe et du vêtement (PPR possède des marques comme Gucci, Sergio Rossi, YSL, Puma…).
Hasard ou coïncidence, son départ à la direction de France Billet intervient un mois après la promulgation de la loi du 12 mars 2012 qui réglemente la vente de billets de spectacles, notamment sur Internet. Elle a créé l’article 313-6-2 du code pénal, qui punit de 15 000 euros d’amende le fait de vendre « de manière habituelle » des billets de manifestations sportives ou culturelles « sans l’autorisation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle« . Un loi qui arrange très directement France Billet, puisqu’elle empêche la constitution d’un second marché qui échappe au contrôle des revendeurs habituels. Ces sont plusieurs millions d’euros qui sont en jeu.
Contacté par Numerama, le groupe PPR ne voit aucun problème à cette nomination. « Je peux vous affirmer que Mme Elodie Perthuisot a sollicité l’avis de la commission de déontologie de la fonction publique avant sa prise de poste. Cette dernière a rendu un avis favorable à son arrivée comme directrice de France Billet et Fnac Voyages, après ses fonctions au sein du cabinet de Frédéric Mitterrand« , nous indique la direction de la FNAC.
Le ministère de la Culture, également interrogé pour connaître les liens qu’il y a pu y avoir entre Mme Perthuisot et le groupe PPR dans le cadre de ses hautes fonctions ministérielles, ne nous a pas répondu.
Bercy, le ministère de l’intérieur et le ministère des sports ont accueilli la disposition législative. Jamais le ministère de la Culture.
Un membre de l’opposition parlementaire, proche des milieux culturels, se refuse lui-même à dénoncer un conflit d’intérêts. Il y voit plutôt la trace d’un coup de pouce amical donné par Alexandre Bompard, le patron de la FNAC, proche de Nicolas Sarkozy. Il nous explique que s’agissant d’un amendement déposé à une proposition de loi sur le sport, c’est le ministre des sports David Douillet qui était présent au moment de la discussion de l’amendement. Ce que confirme le compte rendu officiel de l’Assemblée Nationale.
Le texte aurait été adopté sans que le ministère de la Culture soit à la manœuvre ou même informé, ce qui paraît tout de même difficile à croire. Il s’agissait d’un amendement présenté par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée, et défendu en séance par la députée Muriel Marland-Militello, dont on sait la proximité avec la rue de Valois.
Surtout, l’amendement n’est pas venu de nulle part. Comme le rappelait le Huffington Post dans un article très complet, le Conseil constitutionnel avait censuré le 10 mars 2011 une première disposition législative encadrant la revente de billets de spectacles sur Internet, inscrite dans la loi Loppsi défendue par le ministère de l’intérieur. « Quelques semaines après, le 5 avril 2011, le ministère de la Culture a chargé Jacques Renard d’une mission d’étude sur « la situation actuelle de la billetterie du spectacle vivant » » (Mme Perthuisot était alors directrice adjointe du cabinet). Mais le ministère n’a jamais déposé de texte. Le 22 juin 2011, c’est une proposition de loi directement inspirée par le Prodiss, le syndicat des producteurs, diffuseurs et salles de spectacles, qui était déposée par la même Muriel Marland-Militello.
La disposition a ensuite été inscrite dans un projet de loi sur la protection des consommateurs défendu par le ministre Frédéric Lefebvre, dont l’adoption a été repoussée sine die.
C’est donc finalement dans un texte sur le sport qu’elle a été glissée, avec la complicité active du ministère des sports.
Officiellement, jamais le ministère de la Culture n’est intervenu dans ce travail législatif. Ce qui a peut-être contribué à permettre le feu vert de la Commission de déontologie, laquelle ne communique pas ses décisions au public.
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