Dans l’histoire de Numerama, il n’y a pas eu beaucoup d’articles favorables à l’Hadopi. Ils se comptent à peu près sur les doigts d’une main en partie amputée. On se souvient de celui où l’on expliquait que l’Hadopi était moins pire que le CSA dans son projet de régulation du net, et de celui, plus récent, où nous saluions l’ouverture d’une consultation publique sur les exceptions au droit d’auteur.
A cette occasion, nous avions noté que le texte de la consultation semblait ouvrir la voie à la proposition d’introduction dans le droit d’auteur français (ou plutôt européen) de la notion de « fair use », très utile aux Etats-Unis. Elle autorise en effet les exploitations des œuvres sans autorisation préalable de l’auteur ou du producteur, pourvu qu’elles ne fassent pas préjudice aux titulaires des droits. Alors qu’actuellement tout est interdit si ça n’est pas explicitement et précisément autorisé, le « fair use » apporterait une énorme bulle d’air, notamment sur Internet. Plusieurs états européens dont le Royaume-Uni, l’Irlande ou les Pays-Bas ont ouvert une réflexion sur le sujet, sous la pression d’acteurs comme Google qui se disent freinés par les lois européennes trop rigides.
Or selon nos informations, le ministère de la Culture et les ayants droit voient d’un très mauvais oeil l’initiative prise par l’Hadopi, qui ouvre la boîte de Pandore. Les représentants du cinéma, du livre et de la musique se sont accordés pour ne surtout pas répondre à la consultation, ce qui aura pour effet d’en limiter drastiquement la portée politique. Comment émettre des propositions avec force, lorsque les premiers concernés ne prennent même pas la peine de les commenter ?
Visiblement télécommandé, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) se serait même rapproché de l’Hadopi pour dire tout le mal qu’il pensait de l’initiative, qui empiète sur son domaine réservé. En France, la réflexion sur l’évolution du droit d’auteur doit être pilotée au sein du CSPLA, dont la légitimité est de plus en plus contestée du fait de ses liens très étroits avec l’industrie culturelle et son ministère de tutelle.
Ce boycott très politique pourrait expliquer pourquoi la commissaire européenne Neelie Kroes, qui plaide elle-même pour une révision du droit d’auteur, a publié sur son blog une invitation à répondre à la consultation française. Un fait rarissime s’agissant d’un haut fonctionnaire européen, qui communique en général sur les initiatives à l’échelle européenne, et non nationales.
Pour les ayants droit et la rue de Valois, il n’est pas question de laisser l’Hadopi s’insérer dans la réflexion sur l’avenir du droit d’auteur, quand bien même le législateur lui demande de « recommander toute modification législative ou réglementaire« .
Contactée, l’Hadopi n’a pas souhaité commenter nos informations. En revanche, elle nous précise que la consultation qui était initialement ouverte jusqu’au 15 mai sera prolongée, peut-être jusqu’à la veille des vacances estivales.
De quoi donner aux internautes concernés le temps de répondre à une consultation que les ayants droit laissent en champs libre…
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