Y a-t-il désormais un sujet plus politique et sensible que la modération des grands services du web ? Alors que nous mettions en évidence il y a encore peu les insuffisances des dispositifs mis en place par Webedia sur Jeuxvideo.com pour lutter contre ses éléments les plus irrespectueux, c’est aujourd’hui un autre géant, américain cette fois, qui apparaît dépassé par des éléments troubles de sa communauté. Alerté par des vidéastes de YouTube sur un cas de cyber-harcèlement dans la communauté française du YouTube Game, nous avons voulu en savoir plus pour comprendre comment les discours de haine se répandent sur la plateforme.
Le problème, lorsque l’on se mêle des affaires des YouTubeurs, c’est qu’il faut se préparer à une avalanche de drames et de réactions toutes plus excessives les unes que les autres. C’est simple : il semble parfois que le clash et le drama soient les nerfs de la guerre sur la plateforme vidéo, et certains vidéastes n’ont que peu de scrupules à utiliser ce type de badbuzz pour se mettre en avant.
À qui profite le drama ?
Il est donc nécessaire de savoir à qui le drama profite lorsqu’il y en a un. Aujourd’hui, nous allons parler d’une chaîne qui s’est spécialisée dans le drame et qui, grâce à cela, parvient à monétiser ses contenus et rassembler des milliers d’abonnés. Le problème de celle-ci n’est pas tant de produire des drames à volonté sur des non-sujets que de toujours provoquer ces clash sur des fondements homophobes et sexistes. Jusqu’à l’attaque ad-hominem… et l’illégalité.
Face à un tel phénomène, YouTube semble pétrifié, tiraillé entre les plaintes des victimes de la chaîne et la capacité du vidéaste en question à rester sur le fil du rasoir de la charte du réseau. Un cas de conscience pour le plus grand hébergeur de vidéo du monde et l’ensemble du YouTube Game français.
Explications.
YouTube Money, Canulars et Pédéisme
Il se fait appeler « La Cagoule », compte pas moins de 187 000 abonnés et des vidéos dépassant les 500 000 vues, il a une vingtaine d’années, ne se sépare jamais d’une cagoule noire, et hurle dans chacune de ses vidéos. Qui est-il ? Un drôle d’anonyme qui a décidé il y a maintenant un an de se lancer à son tour dans la quête de la gloire et de l’argent sur YouTube.
Nous sommes en juin 2015 quand le jeune homme enregistre en ligne sa première vidéo sur la plateforme de Google. Peu inventif, le garçon s’essaie à un genre plutôt éculé : le canular téléphonique. Mais comme le savent la plupart des YouTubeurs, les canulars sont à YouTube ce que le click bait est à Facebook : des contenus faciles à réaliser et étrangement toujours appréciés. La Cagoule choisit donc la voie de la facilité vers la très convoitée YouTube Money — nom que donnent les vidéastes aux pourcentages perçus sur la publicité de leurs vidéos.
La Cagoule lance alors piteusement sa carrière de YouTubeur en insultant des gens au téléphone
Un peu raciste et tout sauf tendre avec les malades d’Alzheimer, La Cagoule lance alors piteusement sa carrière de YouTubeur en insultant des gens au téléphone. Visiblement gamer, le jeune homme enchaîne alors jusqu’en 2016 différents canulars, où les victimes peuvent s’appeler Activision ou même Leader Price. Le seul point commun entre toutes ces vidéos sont les insultes et les vulgarités, en nombre, qui émaillent les discours mi-hurlés, mi-scandés par le vidéaste.
Mais en-dehors du côté télé-poubelle des productions du jeune homme, il n’y a jusque-là presque aucun drame. Seulement, gagnant peu de visibilité grâce à ses talents d’imitateurs (voyez par vous-même), La Cagoule décide en janvier 2016 de changer de ligne éditoriale et se lance dans un business qui sera bien plus payant : le clash, les attaques ad-hominem et la critique. Le garçon estime alors qu’il y a une place existante dans le YouTube Game qui n’est pas comblée : celle du contempteur.
Alors que les grands vidéastes français commencent à être affichés en trois par quatre dans les couloirs du métro et que les EnjoyPhoenix, Sophia et autres Squeezie réunissent des milliers de fans, il y a forcément un espace à prendre pour ceux qui, pour des raisons qui leurs sont propres, souhaitent les critiquer et soulever leurs paradoxes. Le pari est simple : en s’attaquant à des figures reconnues du YouTube Game, La Cagoule espère profiter d’une nouvelle popularité réalisée aux dépens de la starlette attaquée. Une sorte de growth hacking de la haine, pour parler marketing.
Nous sommes donc le 24 janvier 2016, lorsque le jeune homme produit sa première vidéo critique. Pour lui, le sujet est simple : il choisit des YouTubeurs connus, enregistre quelques secondes de leur contenu et souffle exaspéré dans un sac en kraft. Le concept est encore rudimentaire, mais déjà les insultes fusent. M. Sulivan Gwed est très souvent nommé dans son petit spectacle. Le même YouTubeur fera l’objet peu de temps après d’une autre vidéo de la part de La Cagoule : cette fois-ci, M. Gwed a réuni plus d’un million d’abonnés sur sa chaîne et la nouvelle n’a pas l’air de ravir le jeune homme encagoulé. C’est à ce moment que M. Gwed, sous le pseudonyme Panda Moqueur, va devenir la cible préférée de La Cagoule.
Et le paroxysme de cette haine affichée envers le garçon sera représentée par une vidéo bien étrange réalisée par La Cagoule en décembre dernier. Une vidéo dans laquelle le jeune flirte avec l’homophobie — en se prétendant bien sûr non-homophobe — mais en lâchant à multiples reprises des insultes discriminantes. Pendant une dizaine de minutes (notez que cette longueur lui permet ensuite de mieux monétiser sa vidéo) La Cagoule va s’attaquer à nouveau à M. Gwed, et sous le titre (trompeur de surcroit) : SULIVAN GWED ASSUME SON HOMOSEXUALITÉ, il va commencer à construire un discours particulièrement dérangeant sur sa vision de YouTube. Pour La Cagoule, s’il critique autant les YouTubeurs c’est parce qu’ils sont des convertis au pédéisme (sic), des PD, efféminés et des fils de pute (sic).
Et l’air de rien, le jeune homme débute alors l’élaboration — consciente ou non — d’une théorie à cheval entre grand remplacement et défense d’une virilité perdue. Proche des thèses de l’extrême-droite survivaliste et d’une vision très stéréotypée de la masculinité, le jeune homme qui était en quête de gloire avec des canulars devient un porte-parole de l’homophobie la plus conservatrice. Son discours qui commence à rassembler une véritable communauté de la haine lui permet alors de nommer ses abonnés La Résistance et les exhorte à agir contre le pédéisme.
Le loser est devenu prophète de la haine
C’est à partir de là que sa chaîne passe de celle d’un loser encagoulé pour faire des canulars téléphoniques pré-pubères à celle d’un prophète de la haine et de l’homophobie dont les vidéos rapportent beaucoup.
Si l’on reprend l’exemple de la vidéo SULIVAN GWED ASSUME SON HOMOSEXUALITÉ, elle aura été vue plus de 340 000 fois. Or, elle dure plus de 10 minutes et contient des publicités. Elle est donc un succès facile et plutôt lucratif pour La Cagoule. Avec son titre click bait il parvient à faire du clic et la YouTube Money commence alors à arriver. On pourrait croire à un cauchemar : un illustre inconnu s’en prend à des starlettes, les insulte et propage des discours inadmissibles en France et il se fait payer pour.
Bienvenue sur YouTube.
Des strikes, des clashs et de la liberté d’expression dévoyée
À partir de là, le ton monte, La Cagoule se rend compte des capacités de son nouveau business et gagne enfin la lumière qu’il n’avait jamais eue. Ces nouvelles vidéos d’attaques ont bien plus de vues que ces canulars et il commence à se forger une communauté — son nombre d’abonnés est en croissance. A-t-il trouvé en l’homophobie la poule aux œufs d’or de YouTube ? Certainement, et dans sa quête de succès, La Cagoule va rapidement perdre le contrôle de son langage et de ses méthodes. Alors que jusque-là, il parvenait plus ou moins bien à trouver les angles morts de la charte de YouTube pour échapper à la modération, il va finir par déraper et être enfin pris dans les filets des modérateurs.
Certainement exalté par la fidélité de sa résistance — sa communauté — il finira par produire une nouvelle vidéo dont l’homophobie est difficilement dissimulable : 5 YOUTUBEURS HOMOSEXUELS INSSUPORTABLE ! peu judicieusement sous-titrée No Homophobe ! (sic).
À partir de là, le rythme de l’homophobie de La Cagoule s’accélère : les PD sont à chaque détour de ces phrases et l’on comprend rapidement que cela commence à tourner à l’obsession. Sur son Twitter, le jeune homme continue de développer son discours façon grand remplacement. Ici, ce sont les jeunes garçons présumés PD qui coloniseraient YouTube pour en faire leur territoire.
Mais dès lors, La Cagoule défie les règles communautaires de Google et notamment une chose qu’il semble avoir oublié depuis quelques temps : la charte YouTube. Et comme nous l’explique YouTube France, toute la modération de la plateforme est assurée par ses utilisateurs et sa vidéo 5 YOUTUBEURS HOMOSEXUELS INSSUPORTABLE ! se retrouve retirée de la plateforme à la suite d’une plainte examinée par le réseau social.
La Cagoule reçoit alors son premier strike, ce qui dans le langage des vidéastes signifie avertissement. Visiblement vexé d’avoir été pris la main dans le sac par YouTube et les utilisateurs qui ont signalé la vidéo, le jeune homme va alors se laisser aller à une certaine escalade de la violence verbale.
Le point « j’ai un ami gay » est rapidement atteint
Particulièrement cynique, le jeune homme utilise le coming out récent d’un YouTubeur pour souligner qu’il n’est pas homophobe. Félicitant le vidéaste New Titeuf pour son coming out, la Cagoule souligne que lui au moins c’est un vrai homme, mettant en évidence, en creux, que son homophobie ne s’adresse donc qu’aux convertis aux pédéisme, aux putes et aux efféminés. Le malaise est total et cette nouvelle vidéo passe encore plus mal auprès des autres vidéastes et des utilisateurs : La Cagoule gagne son second strike.
Mais son discours, en réalité bien connu des milieux LGBT, qui distingue le bon gay du mauvais gay, commence à prendre. Et le garçon va même jusqu’à mettre en avant des témoignages de jeunes gays qui se retrouvent dans cette stigmatisation de la différence : c’est le point j’ai un ami gay.
En creusant un peu, on trouve des dizaines d’exemples d’homophobie assumée et violente dans la carrière éclair du YouTubeur. Et la plupart de ces agressions se passent souvent en-dehors de YouTube : sur Skype ou Twitter où le jeune homme prend à partie les YouTubeurs qui l’attaquent. Un vidéaste va nous expliquer avoir été ainsi mêlé aux déboires du jeune homme : « La première fois que j’ai entendu parler de XXX, alias « La Cagoule », j’étais au téléphone avec un jeune YouTubeur, qui m’appelait un peu paniqué car il venait de se faire insulter par « La Cagoule » sur Twitter. En effet il avait tweeté une photo de ce jeune, âgé de seulement 14 ans en commentant « encore plus jeune, encore plus pd ».
J’ai alors commencé à me renseigner à son sujet et à découvrir le personnage misogyne et homophobe qu’il est. J’ai eu avec lui une conversation sur Skype car il voulait absolument me parler. Il disait ne pas apprécier mes tweets dans lesquels je le confrontais par rapport à sa vidéo intitulée « Top 5 des YouTubers insupportables », où il ne cessait de rabâcher des propos haineux et homophobes dans des termes très vulgaires.
Hormis justifier les propos haineux qu’il a tenus, il m’a dit que si l’on se voyait à Paris il allait me mettre, je cite « des patates de forains ». Enfin, il m’a expliqué : ce n’est pas de ma faute si ces YouTubers sont des cancers de Youtube et des sales PD ». À maintes reprises, des amis et moi-même, lui avons demandé de cesser de faire des videos qui ont pour objet unique de propager la haine sur des adolescents. Par la suite il y a eu le dérapage de trop, la vidéo dans laquelle il se masturbe en live sur le site Twitch en regardant des vidéos d’une youtubeuse française mineure. »
En réalité, en plus de jouir du succès de ses victimes — en attaquant des YouTubeurs célèbres, il gagne en visibilité — nous finissons par découvrir que son cyber-harcèlement dépasse les seules vidéos qu’il produit pour devenir un véritable mode de vie sur internet. Toujours à l’affût des menaces, le jeune homme pense n’avoir peur de rien et se mêle littéralement de tout.
Ainsi après avoir insulté des dizaines de jeunes adolescents sous-prétexte qu’ils avaient l’air efféminés, La Cagoule a également souhaité s’en prendre aux femmes — plus souvent appelées putes que femmes dans le jargon du garçon — et a effectivement réalisé un live dans lequel il prétend se masturber — et le revendique sur Twitter — sur une jeune youtubeuse beauté (Danae), mineure de surcroît.
L’homophobie déjà condamnable aux yeux de la loi est donc complétée par l’un des plus insupportables spectacles que pouvait donner le jeune homme. Lors de notre enquête, nous avons pu accéder à une partie du Twitch en question, et la victime choisie par l’internaute est bien mineure.
Un autre vidéaste, BonsoirTino, a également souhaité se confier sur les déboires causés par La Cagoule et évoque dans des termes proches les abus que nous avons déjà pu évoquer à travers notre enquête : « Plusieurs fois, j’ai pu débattre avec cette personne sur les réseaux sociaux. J’ai eu droit à des « ferme ta gueule », et il m’a même dit un jour « on se rejoint sur Paris et on s’encule ».
J’ai essayé à plusieurs reprises de lui faire remarquer son comportement abusif, mais à chaque fois, il prenait ça à la rigolade, se sentait intouchable, et donnait l’excuse du « second degré » et du « personnage qui ne reflète pas vraiment sa pensée ».
Mais pour BonsoirTino, cette ambiguïté sur le prétendu second degré du garçon est une duperie qui permet seulement à La Cagoule de réunir une communauté sur des motifs homophobes : « Pour moi, cette chaîne, c’est une vraie incitation à la haine. Il attaque des gens sur la place publique, montre que c’est possible de s’attaquer et d’insulter des gens sur internet et des gens le prennent exemple, ils voient que La Cagoule le fait, et ils le font aussi. »
Le vidéaste poursuit avec d’autres exemples de propos clairement abusifs du jeune homme, sur Twitter notamment où La Cagoule réunit sa communauté pour organiser des raids. BonsoirTino se souvient : « Sur Twitter, il y a eu des hashtags comme #LaCagouleVsUnPandaMoqueur, où un tas de personnes de la communauté de La Cagoule insultaient le YouTubeur Sulivan Gwed (ndlr : Panda Moqueur, déjà évoqué). Ils s’en sont pris aussi à des YouTubeurs comme Maxime Skye (cas évoqué plus haut), etc. Dans une de ses dernières vidéos, appelée « 5 YOUTUBEURS HOMOSEXUELS INSSUPORTABLE ! », il affichait plusieurs YouTubeurs hommes qui se maquillent, et il avait des propos comme « ils provoquent », etc. Après cette vidéo, les youtubeurs présentés ont eu un tas de commentaires à caractère homophobe sur leurs chaines, venant de la communauté de La Cagoule. »
En un mot : en plus de son business rentable de haine sur YouTube, le jeune homme ne semble avoir assimilé aucune règle ou limite et se rend responsable d’incitation à la haine et à la violence, et plus généralement, de harcèlement.
Au même moment où le jeune homme se plaint sur Twitter des avertissements envoyés par YouTube, il décide de créer une autre chaîne — la plateforme a suspendu sa possibilité de mettre en ligne des vidéos sur La Cagoule — pour continuer son petit manège.
Mais cette fois-ci, La Cagoule souhaite révéler au monde que la fermeture temporaire de sa chaîne est une attaque faite à la liberté d’expression, et cette attaque serait menée par un certain Zelvac — l’ancien pseudonyme d’un autre YouTubeur, Alexandre Calvez.
https://twitter.com/alexandrecalvez/status/817440818403430400
Ce dernier avait eu la bonne idée d’alerter ses proches et sa communauté sur le caractère homophobe du vidéaste sur Twitter. Mais évidemment, le jeune cagoulé, un peu sanguin, va très mal le prendre et va estimer que M. Calvez est à l’origine de tous les strikes qu’il a reçu. Alors qu’à l’évidence — YouTube, interrogé, nous l’a confirmé — il y a eu de nombreux signalements contre sa chaîne.
Mais pour La Cagoule, le doute n’est pas permis. Il réalise donc une vidéo appelée YOUTUBE VA SUPPRIMER MA CHAINE. Et celle-ci est particulièrement intéressante tant elle révèle les psychoses et les traumatismes du personnage caché derrière sa cagoule. Plutôt que d’inciter nos lecteurs à aller voir la vidéo en question, nous préférons en choisir quelques morceaux particulièrement éclairants :
« Je vais sur ma page YouTube et là je vois un énorme bug : je viens de me prendre deux strikes fréro. Ouais mon pote, c’est la fin de la résistance. Je pensais que l’on était capable de convertir. Mais je vois qu’ils ont décidé de rester dans leur pédéisme. Effectivement, ma vidéo comportait énormément d’insultes, des insultes envers un pseudo Zelvac. […] Ce même Zelvac est allé demander à des milliers de personnes d’aller signaler ma dernière vidéo. Et c’est ce genre de personnes que je ne comprends pas, le mec il s’est converti au pédéisme. »
Le vidéaste dit ensuite qu’il a fait appel auprès de YouTube pour parvenir à passer entre les mailles des avertissements. Mais le moment le plus triste et cynique se trouve vers la deuxième minute de sa vidéo, où il s’érige en héros sincère d’une liberté d’expression malmenée. Pour cela, il souligne que sa vidéo qui félicitait New Titeuf montrait qu’il n’était pas homophobe mais qu’il aimait un homo qui porte ses couilles (sic).
C’est tellement triste de voir que parce qu’on est pas PD et ben on est pas accepté comme on est — La Cagoule
À nouveau, le jeune homme explique sa fameuse conception de deux homosexualités : celui qui porte ses couilles et celui qui porte des Stan Smith (sic). Enfin, La Cagoule finit par glisser une phrase complètement lunaire sur l’homosexualité : « C’est tellement triste de voir que parce qu’on est pas PD et ben on est pas accepté comme on est poto. C’est triste. » On n’est plus sûr de suivre.
Aujourd’hui, La Cagoule aurait reçu un nouvel avertissement selon ses propos. Il souhaite faire appel auprès de YouTube pour qu’un des avertissements soit retiré car à l’heure actuelle, il en a trop pour pouvoir poster des vidéos. Et selon YouTube France, un tel comportement, marqué par la récidive, peut aboutir à la suppression définitive de la chaîne, l’arme ultime des modérateurs de YouTube.
La Cagoule au placard et YouTube intraitable ?
Mais malgré le volontarisme affiché du réseau social, le cas La Cagoule inquiète et semble montrer les limites de la modération de YouTube pourtant jugée comme une des moins mauvaises — loin de celle de Twitter par exemple. Car si le jeune homme collectionne bel et bien les avertissements depuis plus d’un mois, ses vidéos les plus offensantes ont malgré tout eu leur heure de gloire grâce aux algorithmes de recommandation du réseau de vidéos
Mais ce qui intrigue les vidéastes qui ont eu affaire au garçon, ce sont plusieurs détails qui leur semblent être des passes-droit qu’aurait gagné, grâce à son audience, le YouTubeur et cela malgré son comportement. Ainsi, certains soulignent le fait que son compte est toujours validé : un petit symbole gris qui suit le nom de l’utilisateur qui est censé distinguer les comptes reconnus des autres, selon Google. Or, toujours selon Google, un compte validé doit avoir plus de 100 000 abonnés — c’est le cas — mais peut voir sa validation être retirée « s’il ne respecte pas le Règlement de la communauté ou les Conditions d’utilisation de YouTube ». Spoiler : c’est le cas.
Il y a également un autre problème que de nombreux créateurs soulèvent : celui d’une modération à deux vitesses. Un vidéaste ciblé par La Cagoule nous explique : « Si les mêmes propos étaient tenus sur une chaîne à 200 abonnés, on en parlerait déjà plus. Mais là, on parle d’un gros compte, qui génère des vues et de l’argent. La situation est donc différente. Un traitement différencié qui se ressent dans les négociations que mène La Cagoule avec YouTube France pour faire retirer ses strikes. »
En effet, le jeune homme a plusieurs fois fait appel de ses avertissements pour parvenir à les faire retirer, une procédure normale que YouTube France assume lorsqu’on l’interroge. En effet, contacté, YouTube explique que leur système de modération est complètement humanisé. Car pour le réseau social, il est important de distinguer le contexte d’une vidéo et son contenu. Lorsque certaines lois françaises ou lois de la communauté sont dépassées, les modérateurs expliquent ne pas débattre, l’avertissement n’est pas levé.
Néanmoins, si la situation est plus complexe, l’équipe confie ne pas agir comme des robots. D’autant qu’il n’y aucun robot en charge de la modération sur YouTube, seulement des cellules dans différents endroits du monde qui, 24h/24 et 7j/7, scrutent les signalements reçus et les examinent. Lorsqu’un signalement est analysé, YouTube met un point d’honneur à choisir un modérateur parlant la langue du contenu en question et c’est alors que les propos sont examinés. Il s’en suit alors, ou non, un avertissement. Mais la discussion avec le créateur ne s’arrête pas là, il peut faire appel.
YouTube doit garder sa convivialité et sa sécurité, c’est un défi
La machine à modérer YouTube a donc l’air rodée et efficace et pourtant, ce n’est finalement pas si simple. Pourquoi la Cagoule a-t-il encore son badge validé ? Pourquoi YouTube accepte de retirer ses avertissements après autant de dérapages (plus de 5 vidéos bannies sur un compte, ce n’est pas un détail) ? Et enfin, comment YouTube va-t-il pouvoir se battre contre ces nouveaux gourous de la haine qui prolifèrent grâce à une interprétation biaisée de la liberté d’expression ?
Pour la plateforme, le sujet est sensible et important car YouTube doit garder sa convivialité et sa sécurité. Mais face à une nouvelle vague de jeunes qui ne suivent aucune des règles édictées par le géant, peut-on survivre ?
YouTube France pense avoir la bonne méthode, bien qu’elle puisse être perfectible, elle fonctionne selon eux. Désormais, c’est à leurs utilisateurs de jouer un rôle et ne pas hésiter à signaler les contenus. Comme nous l’explique précisément l’équipe, sur YouTube, vous pouvez tout signaler : un commentaire, une playlist, une vidéo, donc si vous voyez ou lisez quelque chose, il est important d’agir.
D’une jeunesse française à une autre
Alors que la plateforme nous explique avec ses techniques et ses méthodes les rouages de sa modération, on comprend qu’elle est imparfaite mais déjà lourdement armée. Poursuit-on un rêve de surrégulation du net alors qu’on se méfie plutôt de ce genre de dispositif ? Doit-on encore pointer du doigt non pas les plateformes mais la société et les déclassés qu’elle produit encore ?
Au printemps dernier, je me rendais naïf et ingénu à la Get Beauty, la plus importante rencontre des YouTubeuses beauté de France. J’y découvrais une foule bigarrée, connectée, enthousiaste et culturellement mondialisée. On y parlait certes vernis mais également diversité et bienveillance — j’osais même croire que je rencontrais une jeunesse inconsciente de son progressisme mais prête à se battre pour. Et peu de choses ont changé dans cette petite bulle de YouTubeur, à l’exception d’un détail : ils et elles sont devenu(e)s des cibles publiques.
Il est difficile d’établir un portrait précis de cette jeunesse du web qui en veut à la réussite de ces gamins joyeux et représentatifs d’une certaine diversité. Mais aujourd’hui, nous devons admettre qu’ils existent et s’organisent, avec des cas parfois aussi extrêmes que La Cagoule.
Mais on peut également évoquer un Raptor Dissident, dont le comportement à l’égard de Masculin Singulier se rapproche des mêmes modus operandi appréciés par La Cagoule : raids, cyber-harcèlement, appels aux meurtre et stigmatisation. Guilhem — Masculin Singulier — nous confie qu’il y voit plus qu’une coïncidence : pour lui, c’est une nouvelle bulle qui émerge dans la société.
Forcément, on pense également aux jeunes, certes minoritaires, qui se retrouvent sur le forum 18-25 pour partager le même type de comportements agressifs. Les cibles sont toujours les mêmes : les femmes, les féministes, les progressistes et les minorités, des groupes auxquels on oppose un internaute trolleur qui voit dans les minorités le principal obstacle à sa propre émancipation.
Deux jeunesses françaises qui s’opposeraient sur le web comme dans les années 1990 les jeunesses communistes et fascistes se violentaient à coup de bars de fer ? Possible : ce sont en tout cas deux visions du monde radicalement différentes. Deux bulles qui ne sont jamais loin d’être politisée et qui pourtant, semblent principalement subsister à cause du besoin d’attention de quelques individus.
Il suffit de voir comment un personnage comme La Cagoule a radicalement changé de comportement après avoir connu un faible succès avec ses canulars quand il a découvert que des garçons plus jeunes que lui, comme Sulivan Gwed, pouvaient bénéficier d’une exposition puissante.
Il nous revient alors l’image du jeune homme encagoulé en train de frapper une de ses peluches dans sa chambre d’ado alors qu’il vient d’apprendre que Panda Moqueur venait d’avoir un million d’abonnés. Enfermé dans son cocon, derrière sa caméra, il s’agite, explose, comme s’il y avait une injustice dans le succès d’un jeune homme. Seul avec sa cagoule et ses cordes vocales, il s’égosille, dépité.
En arrière-plan, on distingue un appareil de musculation, un poster de GTA et une sinistre chambre d’ado peuplée de peluches.
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