Dans le domaine de la propriété intellectuelle, les brevets sont à l’industrie ce que les armements sont à la défense. Ils ont pour unique rôle de dissuader la concurrence d’exploiter une invention sans l’autorisation de son concepteur et d’organiser, le cas échéant, des représailles devant les tribunaux. C’est d’ailleurs pour cette raison que le brevet confère à son propriétaire un droit d’interdiction et non un droit d’exploitation.
Mais ce système connaît aujourd’hui des dérives. Des trolls des brevets (Patent Trolls) sont en mesure de perturber très clairement les activités des entreprises. Ces sociétés, pudiquement qualifiées de « personnes morales sans activité » en jargon juridique, n’ont qu’un seul objectif : amasser un maximum de brevets pour ensuite contracter des accords de licence… et engranger de l’argent sans jamais rien produire.
Ce phénomène n’est pas neuf. Certaines sociétés sont spécialisées depuis longtemps dans cette activité, au demeurant très lucrative. Elles déposent ou achètent des brevets à tour de bras, avec ce souci de n’en faire absolument rien. Les entreprises, coincées par les Patent Trolls, n’ont pas alors pas le choix : elles doivent coopérer ou se retrouver en justice parce qu’elles ont violé la propriété intellectuelle de ces trolls.
29 milliards de dollars
Dans les deux cas, les sommes en jeu ne sont pas anodines bien qu’il est difficile d’en évaluer le coût à l’échelle d’un pays. C’est pourtant l’objectif qui a été poursuivi par deux universitaires de la faculté de Boston. Leur étude, remarquée sur Twitter par Alexis Kauffmann, conclut que le coût direct des Patent Trolls sur les entreprises américaines est de 29 milliards de dollars pour la seule année 2011.
Et pour les deux experts, la situation est préoccupante. Car si les « personnes morales sans activité » affectent celles des grosses entreprises, elles attaquent aussi les petites et moyennes entreprises, qui constituent souvent le tissu économique d’un pays. C’est donc un problème véritablement global, qui grève les perspectives de développement d’une firme, grosse ou petite.
Des bureaux de vérification sans moyen
Comment en est-on arrivé là ? L’une des clés pour comprendre les raisons de cette dérive se trouve dans les bureaux chargés de valider les brevets et les marques, comme l’USPTO aux États-Unis, l’Office Européen des Brevets (OEB) ou l’institut national de la propriété industrielle (INPI) en France. Ces organismes ne sont plus en mesure de mener à bien leur mission, faute de moyen.
On se souvient à ce titre de la grève des examinateurs de l’OEB en 2008. Ils dénonçaient alors un emballement néfaste en matière de brevets, où la quantité était en train de prendre le pas sur la qualité des titres de propriété intellectuelle, pour des considérations purement financières et politiques. Une situation non résolue aujourd’hui, les politiques voyant à tort un signe d’une recherche en bonne santé.
La tendance n’est de toute façon clairement pas à la modération. Un nouveau record a d’ailleurs été établi l’an dernier, avec 40 711 nouvelles marques internationales octroyées et 181 900 demandes de brevets internationaux déposées. Par ailleurs, le nombre de demandes de protections plurinationales de marques et brevets ont respectivement progressé de 6,5 % et 10,7 % en 2011.
Des vérifications difficiles à mener
Ce manque de moyens est un souci, car les demandes son de plus en plus complexes et techniques. Il est très difficile de vérifier en amont si l’invention à breveter est bien une invention originale, comme l’impose la loi, et qu’elle n’est pas juste la traduction technique d’une chose « évidente » ou déjà connue. En conséquence, beaucoup de brevets sont acceptés et délivrés alors qu’ils ne devraient pas l’être.
Contester des brevets en justice coûte cher, et rares sont les entreprises à vouloir se lancer dans une aventure pareille (sans garantie aucune de succès). Qui plus est lorsque l’entreprise est une PME et dispose de ressources limitées. Ces firmes préfèrent alors négocier des licences d’exploitation plutôt que de se retrouver devant les tribunaux.
C’est de ce constat que sont nées les Patent Trolls. Leur seul objet est d’avoir des brevets et d’aller racketter les industriels qui utilisent des technologies brevetées (ou similaires) en misant sur le fait que l’entreprise rackettée a plus intérêt à payer une licence pas trop cher plutôt que d’aller en justice pour obtenir le rejet des prétentions du Patent Troll.
Privilégier la qualité à la quantité
Que faire pour limiter cette guerre des brevets, qui est non seulement un frein à l’innovation mais aussi un gouffre financier ? Une piste intéressante a commencé à être explorée par le Royaume-Uni. Jugeant néfaste l’inflation de brevets, le gouvernement a mis au point un programme de vérification collaborative de la qualité de brevets, pour discerner le bon grain de l’ivraie.
Une piste que devrait suivre la France, plutôt que de lancer son propre Patent Troll étatique avec France-Brevets, dont le portefeuille doit réunir 10 000 titres de propriété intellectuelle. Mais quantité ne rime pas toujours avec qualité. Et plus il y a de brevets accordés par les bureaux d’enregistrement, plus les risques d’enfreindre une innovation s’accroissent.
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