La technologie est souvent merveilleuse par les possibilités nouvelles qu'elle offre. Elle est aussi parfois redoutable, par exemple lorsqu'elle permet de s'assurer qu'une interdiction n'est plus simplement une interdiction que l'on peut contourner, mais une impossibilité totale d'enfreindre la règle. Qu'il s'agisse de la loi adoptée par les parlementaires élus, ou de règles plus ou moins arbitrales édictées par des entreprises privées, ou par des autorités publiques.
Hier, quand un règlement ou un contrat paraissait inepte, il était toujours possible de ne pas y obéir, et d'accepter d'en subir les éventuelles conséquences. L'Histoire a montré que la désobéissance civile peut être une nécessité. Et sans aller chercher les exemples les plus sombres, il est parfois heureux que les lois ne soient pas respectées. N'est-il pas heureux que les femmes puissent enfreindre l'ordonnance du 16 brumaire an IX (17 novembre 1800), jamais abolie, qui les oblige à demander à l'Etat l'autorisation de porter un pantalon ? N'est-il pas heureux que l'on puisse faire un lien hypertexte vers un site internet sans forcément obtenir au préalable une autorisation écrite ?
Avec les DRM sur les contenus culturels, la technologie a déjà permis que désormais, seules les personnes autorisées puissent lire un livre. Et que l'on ne puisse plus ni le copier, ni le modifier, ni le donner, ni le vendre. Mais demain, ce sont d'autres comportements humains qui seront bridés par la technologie, parce qu'ils auront été jugés impropres.
Apple a ainsi obtenu mardi un nouveau brevet, déposé en juin 2008, portant sur "des appareils et méthodes pour l'application de politiques sur un appareil sans fil". En résumé, il s'agit de faire en sorte que certaines fonctionnalités des appareils mobiles puissent être désactivées à distance, sans que leur propriétaire ne puissent s'y opposer. Apple prend comme exemple le fait de désactiver l'écran des téléphones portables à l'intérieur des salles obscures de cinéma, ou de désactiver la communication entre appareils mobiles à l'intérieur d'une salle d'examen.
En cela, ce qui n'est d'ailleurs pas sans poser questions, le brevet ressemble très fortement à celui obtenu par Microsoft en mai 2008, un mois seulement avant qu'Apple dépose le siens.
A l'époque, il s'agissait très ouvertement pour Microsoft de faire respecter des "Device Manners Policy" (DMP), c'est-à-dire des DRM dont la fonction est de s'assurer du respect des "bonnes manières" dans les lieux publics. "Avec la gestion des DMP, les salles de cinéma pourraient par exemple demander automatiquement aux téléphones mobiles de se mettre en mode silencieux, les musées pourraient interdire aux appareils photos de fonctionner ou de déployer leur flash, les entreprises pourraient interdire la captation d'images ou de son dans les réunions confidentielles, etc, etc. Et ça ne serait pas limité aux appareils portatifs. Microsoft imagine par exemple que les municipalités pourraient faire respecter automatiquement des limitations de vitesse ou obliger à l'allumage des feux dans les tunnels", avions-nous écrit il y a quatre ans.
Mais à l'époque, peut-être parce que ni la répression des émeutes de Londres ni le printemps arabe n'étaient encore survenus, nous n'avions pas vu l'outil incroyablement menaçant pour les libertés publiques que représentent ces technologies de contrôle du comportement humain.
Or la menace est évidente :
Les Dictateurs remercient Apple de pouvoir interdire la prise de photos dans certains lieux à certains moments petapixel.com/2012/08/30/app…
— Gildas Ribot (@Giribot) August 31, 2012
Les régimes autoritaires ou les démocraties en dérive seront effectivement les premières à vouloir s'emparer de ces outils de contrôle pour, ici, empêcher des populations insurgées de communiquer entre-elles. Là, pour empêcher un journaliste ou un témoin quelconque de prendre des images qui dérangent.
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