En octobre 2011, la Cour d'appel de Paris a lourdement condamné six entreprises poursuivies pour avoir distribué en France des "linkers pour Nintendo DS", c'est-à-dire des cartouches et autres dispositifs permettant d'exécuter des programmes non signés (en particulier des jeux piratés) sur la console japonaise. Au total, les entreprises condamnées ont dû payer plus de 4,8 millions d'euros de dommages et intérêts, alors que les linkers qu'ils vendaient ne violaient en eux-mêmes aucun droit d'auteur. Ils offraient simplement à leurs utilisateurs un outils permettant, si eux le décident, de pirater des contenus.
Cela "constitue une mise en garde très ferme à l'égard des sociétés qui seraient tentées de continuer à vendre des linkers", s'était réjoui Nintendo. "Ces revendeurs doivent comprendre que de telles ventes sont illicites et les exposent à de lourdes condamnations pénales, notamment de prison, indépendamment des condamnations à des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi".
Mais une affaire similaire en Italie pourrait bientôt changer la donne dans toute l'Europe.
En effet, même si l'on ne connaît pas encore tous les détails de "l'affaire Nintendo" portant la référence C-355/12, la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a été saisie de questions préjudicielles portant sur les mesures anti-piratage des consoles de jeux vidéo. Le blog 1709 reproduit les questions posées à la Cour par la justice italienne.
En substance, il s'agit de savoir si les tribunaux nationaux ont le droit d'interdire la commercialisation de dispositifs qui contournent les mesures techniques mises en place par les constructeurs pour contrôler l'utilisation faite de leurs produits. Les "mesures anti-piratage" qu'imposent les fabricants comme Nintendo (mais c'est aussi le cas pour Sony, Microsoft, Apple, …) ont en effet pour conséquence collatérale de priver le consommateur de la possibilité d'utiliser l'appareil avec d'autres logiciels ou jeux vidéo que ceux prévus par la marque. Or, l'un des arguments de vente des linkers Nintendo et autres modchips est qu'ils permettent d'installer des homebrews, c'est-à-dire des logiciels et jeux non officiels, édités le plus souvent par des développeurs amateurs.
La justice italienne demande donc à la CJUE si la directive de 2001 (.pdf) qui protège les DRM doit être interprétée dans un sens qui interdit la commercialisation des outils de contournement des DRM, même lorsque le but recherché n'est pas de violer les droits d'auteur des oeuvres exploitant ce DRM, mais d'utiliser l'appareil autrement que comme l'a prévu le constructeur. En clair, c'est le droit de hacker qui est à l'épreuve.
La question préjudicielle rappelle que le considérant 48 de la directive de 2001 dispose que la protection des DRM "doit porter sur les mesures techniques qui permettent efficacement de limiter les actes non autorisés par les titulaires d'un droit d'auteur (…), sans toutefois empêcher le fonctionnement normal des équipements électroniques et leur développement technique". Il ajoute qu'il faut "respecter le principe de proportionnalité et ne doit pas interdire les dispositifs ou activités qui ont, sur le plan commercial, un objet ou une utilisation autre que le contournement de la protection technique".
Enfin, la justice italienne demande comment sous-peser les intérêts en cause, lorsqu'un dispositif permet tout à la fois de pirater des jeux vidéo, et de lancer des homebrews. Quel droit doit l'emporter sur l'autre, entre la protection des droits d'auteur des éditeurs de jeux vidéo, et le droit à l'interopérabilité des créateurs de logiciels alternatifs ?
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