Les militants de la taxe sur le clic emploient les grands moyens pour se faire entendre. Dans un billet qu'il faudra précieusement conserver au panthéon des réflexions les plus primaires sur le sujet, le journaliste Claude Soula, grand reporter au Nouvel Observateur (il est spécialisé sur l'économie, les médias et les nouvelles technologies), accuse la ministre Aurélie Filippetti d'être une "militante du piratage", et de "préférer les pirates aux artistes qu’elle doit défendre".
Pourquoi ? Parce qu'elle a osé rappeler à plusieurs reprises que l'Hadopi coûtait trop cher, pour un bilan contesté. Mais pour Claude Soula, l'accusation doit surtout servir à piquer l'orgueil de la ministre, au moment où la presse française défend l'idée d'obtenir à seul bénéfice que les moteurs de recherche comme Google soient taxés lorsqu'ils référencent un article. "Aujourd’hui, l’intérêt de tous, c’est que l’utilisation des oeuvres sur le net, qu’elles soient journalistiques ou artistiques, soit payée – même symboliquement", écrit-il. Mais, demande le journaliste, les éditeurs de presse "seront-ils soutenus par une ministre qui préfère les pirates" ?
Plus fondamentalement, Claude Soula reproche aux "jeunes journalistes", "élevés depuis leur plus jeune âge avec l’habitude de faire ce qui leur chante sur le net et de prendre leurs désirs immédiats pour des obligations impérieuses" (sic) de ne pas partager sa vision exclusivement alimentaire du droit d'auteur. "Quand les auteurs interprètes musicaux (ou cinématographiques) se font piller sur le net, sans aucune rémunération, c’est comme si eux, journalistes, devaient renoncer à leur salaire", écrit-il, reprochant à ces mêmes jeunes journalistes de ne pas être favorables à la taxe sur les liens hypertextes. Du "masochisme", croit-t-il déceler.
Mais ces jeunes journalistes, qui sont avant tout de jeunes citoyens, ont peut-être tout simplement pris conscience que le droit d'auteur était totalement déséquilibré, et qu'il en avait perdu sa légitimité. Ils ne militent pas – en tout cas nous n'en connaissons pas – pour la négation du droit d'auteur, mais plus souvent pour un rééquilibrage des droits. Ce qui passe, déjà, par ne pas condamner un mari parce qu'il n'a pas voulu surveiller ce que faisait sa femme (une critique qui est "un peu fort de café", estime Claude Soula, qui juge le mari de mauvaise foi).
Mais cela passe aussi, plus largement, par une large remise à plat des droits des auteurs et des droits du public, pour redonner sa légitimité au droit d'auteur par un rééquilibrage des droits et devoirs. Ce n'est pas être maso que de le dire ; c'est simplement faire oeuvre de bon sens. Quelque part, c'est faire son travail de journaliste.
S'il avait de la mémoire, Claude Soula se souviendrait peut-être que c'est son journal, Le Nouvel Observateur, qui a publié en 2005 un appel intitulé "Nous sommes tous des pirates". "L’idée que la piraterie est la cause de tous les maux de l’industrie musicale a fait son chemin dans les têtes. A tort", écrivait à l'époque Le Nouvel Obs.
En fouillant bien, nous avons bien retrouvé un article cosigné par… Claude Soula, dans lequel il défend cet appel (un an après), et semble même presque défendre l'idée d'une licence globale.
Palme de la bêtise, voire du mensonge, Claude Soula affirme dans son billet du jour que "les lecteurs de la presse papier subventionnent sans le savoir les sites internet des journaux, presque tous déficitaires". Or il oublie de rappeler – ou peut-être n'en a-t-il pas conscience ? – que ceux qui subventionnent la presse, ce sont avant tout les contribuables (vous savez, ceux qui piratent), dont les impôts servent à alimenter quantités d'aides directes ou indirectes à la presse : aides directes versées aux éditeurs de presse, tarifs postaux préférentiels, taux de TVA réduit, avantage fiscal pour les journalistes, … sans parler des lucratives publications légales, ou du poids colossal d'Air France dans la balance commerciale des journaux.
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