Le gouvernement renonce au vote par Internet pour Français de l’étranger votant aux législatives, pour des raisons de sécurité empêchant d’assurer la fiabilité du vote à distance. Une décision qui a été diversement appréciée par les élus.

2017 est une année importante pour les Français. Ils seront en effet convoqués à deux reprises dans les bureaux de vote afin de désigner le futur président de la République, les 23 avril et 7 mai, puis, quelques semaines plus tard, les 11 et 18 juin, pour élire les députés qui siègeront à l’Assemblée nationale. Mais pour ceux vivant actuellement à l’étranger, faire son devoir de citoyen va s’avérer légèrement plus difficile.

En effet, le vote électronique ne sera pas proposé aux Français établis hors de France pour les élections législatives de 2017. C’est ce qu’a annoncé ce lundi matin Matthias Fekl, le secrétaire d’État responsable des Français de l’étranger. Les électeurs devront se rabattre sur les solutions alternatives pour exprimer leur choix politique, à savoir le vote à l’urne, la procuration et le vote par correspondance.

Cette annonce, faite lors de l’Assemblée des Français de l’étranger, a été relayée sur les réseaux sociaux par plusieurs participants.

Hélène Conway-Mouret, sénatrice des Français établis hors de France et qui a été leur ministre dans le gouvernement Ayrault pendant près de deux ans, explique que ce sont les menaces « d’opérations hybrides » qui ont motivé cette décision, sans toutefois préciser ce qu’elle entend par « opérations hybrides ». Sans doute fait-elle référence à des attaques informatiques

Déni de démocratie

Une décision qui ne fait pas l’unanimité chez les élus. Sur Twitter, des sénateurs et des députés de la droite et du centre, comme Olivier Cadic (UDI), Thierry Mariani (LR) Claudine Schmid (LR), Jacky Deromedi (LR) ou Alain Marsaud (LR), ont fait part de leur déception et de leur réprobation à l’égard de l’abandon de cette méthode de vote à moins de trois mois du premier tour (pour les Français de l’étranger, les opérations de vote  auront lieu les 4 et 18 juin).

Au Huffington Post, Thierry Mariani a une lecture politique de cette décision. « Annoncer cela à 90 jours des législatives, ce n’est pas sérieux. […] Soit le Quai d’Orsay est dirigé par une bande d’incompétents, soit il y a une arrière pensée politique digne de l’URSS, parce que les Français de l’étranger votent plutôt à droite ». Et de laisser entendre que le Conseil constitutionnel pourrait être interrogé sur a légalité de cette décision.

Des pétitions sont d’ailleurs apparues en ligne, l’une lancée par Frédéric Lefebvre (LR), député des Français d’Amérique du Nord, déclarant que la décision du Gouvernement de supprimer le droit de vote électronique pour les législatives est inacceptable, l’autre par Philippe Gustin, candidat investi par Les Républicains, qui affirme qu’il s’agit-là d’un « déni de démocratie » saupoudré « d’incompétence notoire ».

Même à gauche, la décision est critiquée. Axelle Lemaire, ancienne secrétaire d’État chargée du Numérique et de l’Innovation, aujourd’hui dans l’équipe de campagne de Benoît Hamon, candidat du Parti socialiste à l’élection présidentielle, a manifesté son mécontentement : « si c’est confirmé, c’est plus qu’un fiasco : un déni démocratique », a-t-elle lancé sur Twitter, s’interrogeant même sur l’amateurisme ou l’autoritarisme de l’exécutif sur ce sujet. Rien d’étonnant : Axelle Lemaire est historiquement en faveur du vote par Internet.

Hausse de l’abstention ?

Plusieurs participants ont argué que l’interdiction du vote par Internet pour les élections législatives va provoquer une hausse de l’abstention.

Il est vrai que cette solution présente un avantage pratique indiscutable : il est possible de faire son devoir de citoyen en votant depuis chez soi, assis bien confortablement sur sa chaise, sans avoir besoin de faire des centaines voire des milliers de kilomètres pour se rendre physiquement à un bureau de vote — ce qui est parfois une réalité pour les Français de l’étranger.

Cependant, la hausse de l’abstention parce que le vote par Internet n’est pas disponible reste à démontrer. Une étude de cas réalisée en 2014 par Alix Guillard au niveau de la République tchèque montre que si le vote par Internet remplit son rôle de rendre le vote accessible dans les régions reculées, « le nombre de ceux qui en profitent est trop faible pour enrayer la forte abstention ».

En somme, le vote par Internet ne ferait pas plus participer les gens qui sont loin du bureau de vote. Ce constat a été partagé en 2014 par le rapport des sénateurs Anziani et Lefèvre, qui a conclu que sa mise en place n’a eu aucun effet significatif sur le taux de participation pour les scrutins de 2012.

Vote

CC steve

Pour les promoteurs du vote par Internet, ce mode de scrutin permet de répondre à une exigence constitutionnelle, celle de l’accessibilité au suffrage. C’est pour cette raison que le gouvernement précédent avait maintenu cette solution. Cependant, elle ne permet pas de garantir une autre exigence constitutionnelle, celle de la sincérité du scrutin, que l’on peut aisément vérifier avec des urnes transparentes, par exemple.

Comme nous l’expliquions alors, il y a bien sûr des assurances techniques apportées par les prestataires de vote électronique et par l’administration qui leur confie l’acte fondateur de la démocratie, mais alors que le vote traditionnel est affaire de transparence, le vote par Internet devient affaire de confiance. Il faut avoir confiance dans la sincérité du prestataire, et dans la fiabilité de l’ensemble du processus, qui ne doit pas pouvoir être abusé ou piraté. Or la démocratie se base sur la transparence, pas sur la confiance.

Mais ce n’est pas qu’une affaire de principes. Les risques du vote électronique sont bien réels. L’on a vu lors des législatives de 2012 que le vote par internet pouvait poser des problèmes de sécurité, et que l’opacité est une chose organisée pour que le citoyen ne puisse pas contrôler le fonctionnement concret des urnes électroniques, qui sont réalisées par des prestataires privés qui en font un secret industriel.

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Même les candidats n’ont pas accès au code source, et le contrôle du processus par chaque citoyen est remplacé par un vague audit technique réalisé par une seule personne, désignée par l’État lui-même, pour contrôler le prestataire choisi par l’État. L’opacité est telle que cet audit est secret, et que lorsque Numerama a publié un document expliquant comment était sécurisé l’hébergement de la plateforme de vote par le prestataire Atos, Atos a menacé de porter plainte.

Pourtant, dans le rapport des sénateurs Anziani et Lefèvre, ces menaces avaient été bien identifiées, y compris celles potentiellement commises par des puissances étrangères, mais puisqu’il est techniquement impossible de prouver qu’il y a bien eu fraude pour toute personne qui se contente de voter, le Conseil constitutionnel trouve qu’il n’y a rien à redire au vote par Internet.

Dans un autre rapport, publié en 2014 par le député Patrice Verchère (LR), ces risques avaient aussi été évoqués : l’intéressé écrivait que l’existence d’éventuelles fraudes impossibles à prouver mettait en danger la sincérité du résultat du scrutin… mais au lieu d’en tirer des conclusions évidentes, à savoir abandonner le vote par Internet, il avait jugé qu’il était au contraire urgent de le généraliser à toutes les élections.

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