Le Portugal va-t-il devenir le prochain havre de paix des amateurs de P2P ? Le pays en prend en tout cas le chemin. En effet, le représentant portugais du ministère public a pris une décision remarquée cette semaine en choisissant de ne pas donner suite aux nombreuses actions en justice engagées par l'ACAPOR contre des internautes portugais suspectés d'avoir enfreint le droit d'auteur sur les réseaux de pair à pair.
Les échanges en P2P sont légaux s'ils sont non-marchands
Le procureur est même allé plus loin dans son raisonnement, puisqu'il ne s'est pas contenté de rejeter les procédures judiciaires lancées par l'ACAPOR pour éviter l'engorgement du système judiciaire portugais. Il a également estimé que les activités des internautes sur les réseaux P2P sont légales, même lorsque les échanges impliquent des oeuvres détenues par l'industrie du divertissement.
"D'un point de vue juridique, tout en prenant note que les utilisateurs sont à la fois téléverseurs et téléchargeurs sur les réseaux P2P, nous estimons que cette attitude est licite, même quand ces internautes continuent de partager une fois le téléchargement fini", a-t-il dit, dans des propos rapportés par Torrentfreak. Seule condition : ces échanges doivent se faire dans un cadre absolument non-marchand.
La stratégie de l'ACAPOR est un échec complet. L'association espérait alerter le législateur et l'exécutif sur les malheurs de l'industrie du divertissement locale, en entravant le bon déroulement de la justice par une série de plaintes contre 2000 adresses IP. Au bout du compte, le procureur s'est positionné en faveur de la légalité du P2P et a rejeté d'un bloc l'action de l'ACAPOR. À son grand regret.
L'adresse IP ne suffit pas à déterminer l'auteur d'une contrefaçon
C'est un développement auquel l'ACAPOR ne s'attendait évidemment pas. Mais le revers de l'association portugaise va beaucoup plus loin, puisque le représentant du ministère public, non content de considérer que l'éducation, la culture et la liberté d'expression ne doivent pas être restreintes dans un cadre non-marchand, a aussi noté que l'adresse IP ne suffit pas à identifier l'auteur d'une infraction.
Et pour cause. Lorsque se produit une contrefaçon réalisé sur Internet, une adresse IP est laissée. Or, qui se trouve derrière ? Le titulaire de l'accès à Internet ? Un membre de sa famille ? Un colocataire ? Un pirate ayant cassé la clé WEP de l'abonné ou ayant profité d'un "défaut de sécurisation" ? Plusieurs "suspects" sont possibles pour une seule et même adresse IP.
C'est ce qu'a souligné le procureur. Celui qui a commis l'infraction avec telle adresse IP n'est pas forcément le titulaire de la ligne dont celle-ci est rattachée. Dès lors, les 2000 adresses IP relevées par l'ACAPOR ne signifient pas qu'il y a 2000 abonnés en bisbille avec la propriété intellectuelle. Impossible dans ces conditions d'être sûr de leur culpabilité.
Et en France ?
L'arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2009 n'affirme jamais que l'adresse IP n'est pas une donnée personnelle. Il se contente de dire que les "constatations visuelles" réalisées sur un logiciel de P2P par un agent d'une société de gestion collective, "sans recourir à un traitement préalable de surveillance automatisé", pour "accéder manuellement" à la liste des fichiers partagés par une adresse IP, "ne constituent pas un traitement de données à caractère personnel" visé par la loi de 1978 sur la protection des données.
S'il y a matière à interprétation, cet arrêt n'a pas d'effet dans le cas de la loi Hadopi. C'est la responsabilité du titulaire de l'adresse IP qui est en effet recherchée. Celle-ci est donc immédiatement "identifiante", et il s'agit bien d'une donnée personnelle. Ou alors c'est le caractère manuel de la collecte qui était retenu par la Cour de cassation, mais l'Hadopi fonctionne de manière automatisée.
Reste que le tout premier condamné dans le cadre de la riposte graduée a mis parfaitement en lumière le problème de la distinction entre l'abonné qui paie le forfait à Internet et l'auteur de la contrefaçon. S'il arrive bien sûr que les deux ne fassent qu'un, ce n'est pas toujours le cas. Dans l'affaire qui nous intéresse, c'est sa femme qui a commis les téléchargements illicites. Mais c'est le mari qui a été puni, en se trahissant par ailleurs.
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