Faut-il instaurer un domaine public payant afin de contribuer au financement de la retraite des auteurs ? Pour Jean-Luc Mélenchon, la réponse à cette question est toute trouvée : c’est oui. Une fois leur durée post-mortem écoulée, les droits patrimoniaux seraient finalement maintenus, sauf que les sommes perçues, au lieu d’aller dans la poche des ayants droit comme c’est le cas actuellement, comme les éditeurs pour les écrivains, seraient « socialisées » pour soutenir l’existence des auteurs vivants.
« Lorsque l’on aura passé le délai, 30 ans, 40 ans, 70 ans d’après l’Union européenne, qui veut à tout prix que les éditeurs puissent, quelle que soit l’édition, ramasser le plus longtemps possible, le plus possible. Eh bien, on mettrait les mêmes droits qu’avant, ou un peu moins, et ces droits seraient versés à une caisse qui alimenterait la cotisation sociale des créateurs. Cela s’appelle socialiser le domaine public de la création », a ainsi lancé le candidat de la France Insoumise début février.
Socialiser le domaine public de la création
L’idée n’est pas nouvelle. Comme le pointe ActuaLitté, le principe d’une taxe du domaine public était déjà suggéré en 1878 par Victor Hugo qui expliquait alors « qu’il faut que jamais le droit de l’héritier ne puisse être une entrave au droit du domaine public, une entrave à la diffusion des livres. Je ne demanderais qu’une redevance de cinq ou dix pour cent sur le bénéfice réalisé », dans un discours prononcé lors du IIIe Congrès littéraire international et dont Romaine Lubrique se fait l’écho.
Le candidat l’a d’ailleurs rappelé lors de son passage dans l’émission On n’est pas couché, le 11 mars, sur France 2 :
Cependant, les contours de cette proposition finalement très ancienne, dévoilée à l’occasion de son fameux meeting tenu simultanément à Lyon et à Aubervilliers (au cours duquel un simili-hologramme a été utilisé pour projeter l’image du candidat de gauche), sont encore à préciser : contactée, l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon nous a en effet simplement indiqué qu’elle « travaille actuellement sur la clarification de cette proposition ».
Et de toute évidence, cet éclaircissement à venir est attendu avec impatience du côté des organisations très favorables au renforcement du domaine public ou qui ont pu construire leurs activités grâce à la très grande souplesse conférée par ce dispositif. En effet, l’association Wikimedia France ainsi que le collectif SavoirsCom1 sont pour l’instant très réservés — et c’est un euphémisme — à l’idée d’une taxe sur les œuvres du domaine public. En tout cas, tant que des précisions n’auront pas été apportées.
« Si l’équipe de campagne reprend l’idée d’un domaine public payant, c’est du point de vue de SavoirsCom1 extrêmement négatif », juge Lionel Maurel, interrogé à ce sujet par Numerama. « Contrairement à ce que les soutiens de Jean-Luc Mélenchon disent, cela n’aboutirait pas à socialiser les œuvres du domaine public mais au contraire à les privatiser, ce qui paraît complètement incompatible avec les valeurs que la France insoumise défend… », fait-il observer.
Complètement incompatible avec les valeurs que la France insoumise défend
Même son de cloche du côté de Wikimedia France. Jointe par téléphone, la directrice exécutive, Nathalie Martin, est également hostile à cette idée, en tout cas s’il n’y a pas d’explication de texte : « il faudrait déjà voir sur quelle base juridique Jean-Luc Mélenchon compte s’appuyer pour la mettre en œuvre ». Car pour l’instant, c’est surtout un grand flou artistique qui règne autour de cette mesure, dont la portée et les effets potentiellement négatifs restent à déterminer.
Et il faut dire que les interrogations sont nombreuses. Dans un article publié fin mars, SavoirsCom1 révèle à quel point la suggestion n’a pas été énormément documentée : la perception de ces droits aura-t-elle une fin dans le temps ou est-elle destinée à se prolonger perpétuellement ? Pourra-t-elle coexister avec les droits patrimoniaux ? Qui sera chargé de les collecter et de les redistribuer ? Qui sera éligible pour toucher les sommes perçues ?
Contradiction programmatique
Ces questions ne sont qu’un tout petit aperçu des très nombreuses interrogations qui taraudent SavoirsCom1 depuis la sortie de Jean-Luc Mélenchon. À ce sujet, Nathalie Martin nous indique qu’un questionnaire a justement été envoyé à tous les candidats à l’élection présidentielle ; celui adressé au leader de la France Insoumise pourrait être l’occasion de démêler le vrai du faux sur cette mesure culturelle. À 41 jours du premier tour, il serait en effet temps de mettre les choses au clair.
Car comme le pointe Lionel Maurel, le programme de Jean-Luc Mélenchon semble un peu se contredire. D’un côté, son programme numérique veut consacrer et protéger le « domaine commun informationnel » parmi lequel figurent les œuvres du domaine public ; de l’autre, son programme culturel suggère d’aller vers le domaine public payant. Et c’est ce dernier que Jean-Luc Mélenchon semble privilégier.
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