En 2012, sur Numerama, l’affaire du nom de domaine détourné de François Hollande — un internaute avait acheté Hollande2012.fr pour conduire les internautes sur le site de l’UMP — faisait grand bruit. Mais la loi française qui s’applique à travers l’Afnic et les magistrats sur tous les domaines en .fr avait rapidement permis au candidat de retrouver ce nom de domaine. En effet, il ne faisait aucun doute que celui-ci avait été créé pour lui nuire.
Aujourd’hui, c’est une affaire plus ambiguë que nous souhaitons raconter. Dans les coulisses d’En Marche, de nombreux volontaires et proches de M. Macron veillent à la réputation sur le web du candidat ainsi qu’aux sites qui pullulent reprenant son patronyme et ou ses attributs personnels — parfois pour le soutenir, parfois pour déranger. Si de nombreuses attaques viennent sur ce terrain de l’extrême-droite ou des Républicains et sont trompeuses, voire illégales quand elles ne se rapprochent de la désinformation, le cas d’étude qui nous est exposé aujourd’hui est moins simple et forcément plus intéressant.
Le programme de Macron : « 404 – Not Found »
L’accusé s’appelle Raphael Jolivet et semble manifestement de gauche. Il tient son blog sur Mediapart le Club et est également à l’origine d’un autre blog politique nommé dem0crat1e.fr. Il y écrit ses analyses et ses prises de position tout en soulignant souvent qu’il souhaite voir « les nouvelles technologies au service d’une vraie démocratie. » Il ne semble donc pas être un envoyé du Kremlin, seulement un citoyen plus actif que la moyenne.
Or Il y a un mois, alors que M. Macron faisait languir les médias en retardant la publication de son programme, le jeune homme a eu l’idée de créer son propre programme pour le candidat en achetant le nom de domaine programme-macron2017.fr.
Le buzz est modeste mais réel : M. Jolivet nous explique que durant les premiers jours, son petit site tourne à plein régime avec quelques 200 000 visites par jour. Aujourd’hui, les chiffres ne sont plus aussi mirobolants mais sa page reste une des préférées des moteurs de recherche lorsque vous cherchez : programme Macron. Cela pourrait donc apparaître comme sans importance mais dans la campagne éclair d’un candidat bercé aux startups et au web, le site en question est une tache au tableau qu’il préférerait éviter.
Néanmoins, lorsque vous vous attaquez à un internaute, qui est par ailleurs un contradicteur, et que vous êtes gourou autoproclamé du consensus politique et de la bienveillance, il serait dommageable, voire délétère, de déclencher un bad buzz pour un site qui à l’heure où ces lignes sont écrites ne compte qu’un gros millier de visiteurs chaque jour.
Souvenons-nous que pour une affaire sensiblement différente mais impliquant un internaute, Alain Juppé s’était embourbé dans une spirale qui n’avait guère servi la modernité qu’il cherchait à vêtir pour sa campagne. De facto, en 2017, dans une campagne déjà très tendue où chacun attend le faux-pas du jeune candidat pour percer la bulle que les partis de gouvernement dénoncent en parlant de Macron, En Marche marche sur des œufs notamment en matière de rapport au web.
Alors quand l’équipe découvre le site de M. Jolivet, il est évident que la blague « Son programme : 404 – Not Found, Désolé, nous n’avons pas trouvé son projeeeet » ne passe pas très bien auprès des fidèles.
Porter plainte ou non ?
Néanmoins, juridiquement et médiatiquement, attaquer M. Jolivet n’est pas sans conséquence. Notre première enquête et notre source confirme que l’avocate de M. Macron partage la même lecture : le site ne propose pas de contenu calomnieux. C’est ni plus, ni moins, un site sur lequel un internaute explique ses désaccords et expose ses revendications ; nous sommes donc dans le cadre de la liberté d’expression. Toutefois, là où la loi risque de jouer en défaveur du blogueur, c’est dans l’utilisation du patronyme de M. Macron — et c’est précisément ce que lui reproche l’avocate.
En effet, selon l’article L45-2 du Code des Postes et des Communications Électroniques (CPCE) modifié par ordonnance en 2014, « l’enregistrement ou le renouvellement des noms de domaine peut être refusé ou le nom de domaine supprimé. » Pour parvenir à cette option, dans le cas présent, seul le deuxième point de l’article peut s’appliquer selon Maître Bourdais, collaborateur au cabinet lyonnais SHIFT : « 2. [le nom de domaine est] Susceptible de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle ou de la personnalité, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi. »
En somme, il faudrait aux yeux de la loi que M. Jolivet démontre un intérêt — du contenu politique acceptable — et qu’il agisse de bonne foi — sans souhaiter nuire à la personne ou tromper le lecteur. Or c’est ici que l’affaire devient encore plus subtile : en parodiant le site d’un éventuel programme de M. Macron, M. Jolivet expose le lecteur à une probable tromperie. Le jeune homme nous confirme par ailleurs que de nombreux sympathisants d’En Marche ont partagé le site comme s’il était officiel… sans le lire. Il y a donc là un premier problème. Même de bonne foi, l’internaute trompe malgré lui son lecteur et pour cela, il doit donc clarifier le statut parodique et d’opinion de sa page.
De nombreux sympathisants d’En Marche ont partagé le site comme s’il était officiel… sans le lire
Concernant directement l’utilisation du patronyme, l’Afnic nous confirme par la voix de son porte-parole que l’affaire ne pourrait être traitée par l’organisme qui, si elle en était chargée, devrait donner une réponse dans deux mois, soit après l’élection présidentielle.
De fait, le seul recours pour M. Macron demeure la justice. Mais visiblement pas très enthousiaste à l’idée de s’exposer pour un site à l’affichage médiatique, voire au bad-buzz du tribunal, l’avocate du candidat a donc proposé ce mardi à M. Jolivet 24 heures pour se mettre en règle. S’il ne le fait pas, il y aura plainte, prévient-elle. S’il y a plainte, ce serait donc l’invocation de la liberté d’expression de M. Jolivet face aux droits de la personnalité de M. Macron.
Or pour le porte-parole de l’Afnic joint par Numerama, il n’y a que peu de doutes concernant l’issue d’un tel procès. Mené au Tribunal de Grande Instance, les magistrats sont plus enclins à défendre les ayants droit notamment quand ceux-ci sont connus. Pour le porte-parole, la notoriété d’un nom augmenterait même le poids juridique de l’ayant droit.
De son côté, le blogueur ne souhaite pas abandonner un site qu’il considère, à juste titre, légal. Toutefois, pour échapper à toutes plaintes il a déjà changé le nom de domaine de celui-ci, et compte créer un nom de domaine .com et non plus .fr pour échapper à la réglementation du CPCE et de l’Afnic. Ce nouveau nom de domaine, programme-macron2017.fr redirigera de manière permanente sur son site d’opinion qu’il nous explique vouloir rendre plus clairement parodique.
Pendant ce temps-là, chez En Marche, on démine précautionneusement ce piège prêt à exploser qui pourrait laisser entrevoir un côté peu appréciable d’un homme politique : l’usage au forceps de la justice pour gérer son image. Autrement dit, devenir le Goliath qui achèvera David en grande instance n’a rien de politiquement excitant, rafraîchissant ou même moderne.
Contactée, l’équipe d’En Marche n’a pas encore fait connaître ses arguments et intentions. Toutefois, notre source a pu prouver qu’elle avait bien été appelée par l’avocate de M. Macron.
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