Mardi matin, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA), qui sert de think-tank officiel à l'évolution du droit d'auteur en France, a adopté après un an de discussions son avis sur l'informatique dans les nuages (.pdf). Il soutient, comme l'avait souhaité le précédent gouvernement, et comme l'attendait l'industrie musicale, l'idée que les services en cloud doivent être soumis au paiement d'une rémunération pour copie privée, même si techniquement une seule copie est stockée sur un serveur pour permettre la consultation de l'oeuvre sur différents supports.
"L’informatique dans les nuages offre notamment de nouvelles fonctionnalités de synchronisation sans fil des contenus entre un nombre croissant de terminaux personnels, fonctionnalités qui semblent, en l’état de la technique, de nature à favoriser une multiplication des reproductions de ces contenus", écrit le CSPLA, qui distingue trois catégories de services – parfois imbriqués – sur lesquels il s'est concentré :
- Les "casiers personnels" qui permettent "le stockage de contenus déjà détenus par l’utilisateur et l’accès auxdits contenus et leur reproduction sur une pluralité d’appareils"
- Les services en cloud liés à une offre légale, qui permettent "une fois un exemplaire d’une oeuvre ou d’un objet protégé acquis auprès de la plateforme, d’en effectuer de multiples reproductions (…) sur une pluralité d'appareils, pour un usage privé" (iTunes Cloud, Google Play…);
- Les services "d'obtention d'équivalents" qui "ne nécessitent pas, en l’état de la technique, que le fichier initialement détenu par l’utilisateur ait été acquis légalement par ce dernier". On pense bien sûr à iTunes Match, Google Music ou Amazon Cloud Player.
Pour le CSPLA, pas de doute, "les concepts essentiels du droit d’auteur et des droits voisins sont aptes à appréhender ces offres d’informatique en nuages", quitte à faire dire à la loi ce qu'elle ne dit pas. Ainsi, "tout acte d’exploitation des oeuvres et objets protégés dans le cadre des services d’informatique dans les nuages donne par principe prise à l’obligation d’obtenir une autorisation des ayants droit", affirme le Conseil.
Taxer le cloud au nom de l'équivalence au monde matériel
Or, le droit d'auteur n'oblige pas pas à avoir l'autorisation des ayants droit pour toutes formes d'exploitation, mais uniquement pour celles listées par la loi : mise à disposition du public, reproduction, représentation… Par ailleurs, le droit d'auteur connaît un certain nombre d'exceptions (comme la copie privée qui ne peut pas être interdite par les ayants droit), et doit s'articuler avec d'autres droits, comme ceux des intermédiaires techniques (hébergeurs et FAI) dont l'immunité est en partie assurée par la loi pour la confiance dans l'économie numérique, issue d'une directive européenne de 2001.
Le CSPLA le reconnaît d'ailleurs en disant que si le statut d'hébergeur est reconnu aux prestataires de Cloud (en particulier à la première catégorie de "casiers personnels" qui est la plus neutre de toutes), "l’exercice du droit exclusif d’autorisation préalable contre rémunération serait rendu légalement impossible". La lecture du rapport (.pdf) qui accompagne l'avis montre à cet égard un farouche débat, parfois surréaliste, avec des ayants droit qui n'hésitent pas à vouloir tordre le cou au statut d'hébergeur via des arguments juridiques totalement fallacieux. Mais le rapport précise que le Conseil n'a pas pu aboutir à un consensus, sur une question pourtant centrale.
Faisant fi de cette difficulté, le CSPLA estime, en prenant soin de préciser qu'il s'agit d'un "point de vue qui n’est pas unanime", que les copies multiples obtenues par un même utilisateur pour ses différents appareils via les services en cloud relèvent de l'exception de copie privée, sous condition de licéité de la source. Il note en effet que les services en cloud qui permettent ces usages "offrent aux utilisateurs des fonctionnalités de synchronisation de contenus via le nuage dont les effets sont identiques à des méthodes de synchronisation préexistantes dans un environnement matériel personnel, lesquelles ont toujours été considérées comme relevant de l’exception de copie privée".
Cette analyse ne plait pas aux représentants de l'industrie du cinéma, qui estiment que l'environnement de "l'informatique dans les nuages" permet justement de contrôler les copies qui n'étaient pas contrôlables dans l'environnement matériel. Pour eux, reconnaître l'exception copie privée dans le cloud revient à déposséder l'industrie audiovisuelle d'un pouvoir de négociation des conditions d'utilisations successives des oeuvres vendues sous licence aux utilisateurs. Ils veulent interdire toute copie, privée ou non, sauf si l'utilisateur ou la plateforme paye une licence étendue.
Mais si le CSPLA reconnaît tout de même que les services en cloud permettent des copies privées, en développant cette théorie de l'équivalence audacieuse au regard de l'analyse juridique stricte des textes, c'est uniquement pour justifier de taxer le cloud, ce qui était l'objectif-même de la mission confiée au CSPLA. "Ces reproductions s’inséreraient dans le régime économique de la copie privée, dont les critères de rémunération seraient applicables et qui permettrait d’assurer une compensation financière pour les ayants droit", reconnaît en effet le Conseil. La conséquence logique est que les services en cloud devront payer une taxe, comme le font les importateurs de cartes mémoire, disques durs multimédia, DVD vierges et autres smartphones ou baladeurs MP3.
Reste le plus compliqué, qui promet des bras de fer d'une ampleur inédite en Commission copie privée : déterminer l'assiette et les montants de la rémunération pour copie privée qui seront exigés à Amazon, Apple, Google, RapidShare, le nouveau MegaUpload, etc., etc. Et résister aux multiples recours judiciaires que ne manqueront pas d'exercer ces services, si besoin au niveau européen.
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