Très impliqué dans la défense de la libre circulation des oeuvres et des savoirs, en particulier sur son blog S.I.Lex et à travers le collectif SavoirsCom1 qu'il a co-fondé, Lionel Maurel a publié une proposition très argumentée de loi pour le domaine public en France. Le juriste et bibliothécaire développe brillamment une série de mesures législatives qu'il estime devoir être mises en place pour que le domaine public soit consacré en tant qu'espace de vie culturelle à entretenir, et non plus comme la mort du droit d'auteur.
La proposition qu'il élabore est d'autant plus intéressante et réaliste qu'elle évacue d'emblée la question centrale de la durée excessive de protection des droits d'auteur, pour se concentrer sur les modifications qui peuvent être apportées par le législateur français sans entrer en conflit avec les accords internationaux. En France, seules les prorogations ajoutées au socle minimal imposé par les traités peuvent être supprimées, ce que le juriste propose de faire.
Aussi, Lionel Maurel commence par poser un postulat. Il faut inscrire explicitement l'existence du domaine public dans la loi (c'est actuellement une construction doctrinale due à l'expiration des droits), pour pouvoir mieux le défendre dans l'ensemble des textes législatifs qui s'adressent au droit d'auteur. Puis il faut durcir les conditions d'accès à la protection des oeuvres par le droit d'auteur, en étant plus strict sur les critères qui définissent une oeuvre à protéger, et créer une sorte de règle d'or du droit d'auteur, qui interdirait au législateur d'adopter une loi qui diminue le stock d'oeuvres du domaine public.
Ce sont à cet égard les chapitres qu'il consacre à la protection de l'intégrité du domaine public qui sont selon nous les plus pressants. Ainsi, Lionel Maurel a raison de s'inquiéter du phénomène montant du copyfraud, qui consiste à remettre une couche de droits d'auteur sur des oeuvres qui étaient exploitables par tous librement. C'est notamment le cas des livres anciens scannés pour leur numérisation, dont la version numérisée deviendrait protégée par des droits d'auteur alors que la numérisation n'apporte aucune création intellectuelle digne de protection. C'est aussi le cas des peintures ou des photographies reproduites sur les sites internet des musées. Dès lors que l'oeuvre originale reproduite est en deux dimensions (tableau, photographie, pages de livres…), la numérisation ne devrait conférer aucun droit d'auteur. "Pourquoi limiter cette règle aux oeuvres en deux dimensions ? Parce que les photographies d’objets (statues, monuments, etc) offrent plus facilement prise à l’originalité, le photographe bénéficiant d’une plus grande latitude dans le choix de l’angle de prise de vue", précise le bibliothécaire.
Le même raisonnement s'applique aux bases de données d'oeuvres du domaine public, qui bénéficient d'un droit d'auteur du seul fait qu'il s'agit d'une base de données, dont l'extraction du contenu est interdite. Et à d'autres catégories encore.
Faire du domaine public la règle, et le droit d'auteur l'exception
De même, Lionel Maurel propose que la loi sur le domaine public interdise aux institutions culturelles de nouer des partenariats publics-privés qui ont pour effet de confier une exclusivité d'exploitation aux entreprises à qui est confiée la tâche de numériser des fonds (on pense bien sûr à Google, mais pas uniquement). Ou alors, cette exclusivité devrait être limitée dans le temps, à quelques années.
Enfin, parmi les nombreuses propositions rédigées par Lionel Maurel, l'auteur propose que la loi intègre un mécanisme de versement volontaire d'oeuvres dans le domaine public (une sorte d'option Creative Commons Zero intégrée dans la loi), et que soit créé un registre national des oeuvres du domaine public, pour les identifier plus facilement.
Sur ce dernier point, nous avions été encore plus radical dans nos 12 propositions de réforme du droit d'auteur publiées en 2006. Nous avions en effet suggéré de "lever le tabou de l'obligation de dépôt des œuvres", en renversant complètement la logique du droit d'auteur. Actuellement toute oeuvre est protégée dès sa création, du fait même de cette création. Or il nous semblerait plus juste que les auteurs qui souhaitent faire commerce de leur création aient obligation de le faire savoir dans un registre des oeuvres protégées. A défaut d'inscription dans ce registre, l'oeuvre appartiendrait au domaine public. Ce principe d'enregistrement n'a rien d'irréaliste ; il était celui qui présidait au copyright américain jusqu'en 1976. Mais il est vrai qu'il nécessiterait de s'attaquer aux traités internationaux qui paralysent nombre de réformes nécessaires.
Par ailleurs, s'il faut trouver une critique à l'excellente proposition de Lionel Maurel, c'est dans sa construction sémantique. Dans les modifications qu'il propose d'opérer au code de la propriété intellectuelle, l'auteur accepte que la situation normale soit la protection par le droit d'auteur exclusif, et que le domaine public n'en soit que l'exception ("Une création ne satisfaisant pas à l’un de ces critères appartient au domaine public", "Au terme de ce délai, l’oeuvre appartient au domaine public"…). Or, il nous paraît essentiel de rappeler dans la rédaction-même de la loi que l'oeuvre est par principe dans le domaine public, et que l'auteur ne jouit de droits d'exclusifs que par exception temporaire. Ce n'est que de l'ordre du symbole, mais il est important pour que toute atteinte au domaine public soit bien vue comme telle, et non comme un renforcement des droits des auteurs.
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