Faut-il s'en inquiéter ou est-ce une nécessaire évolution des infrastructures réseaux et du modèle économique des opérateurs télécoms ? Orange et SFR ont tous les deux annoncé aujourd'hui le lancement d'une offre commerciale de Content Delivery Network (CDN), qui permet aux éditeurs de services en ligne de proposer un accès plus rapide à leurs contenus.
Orange a annoncé mardi dans un communiqué avoir formé une "alliance stratégique" avec le prestataire américain Akamai pour "répondre au besoin croissant de performance des entreprises dans la diffusion de contenus". Concrètement, les éditeurs de sites et services en ligne pourront désormais acheter directement auprès d'Orange Business Services des services fournis par Akamai, qui permettent de dupliquer les contenus dans des serveurs situés au plus près possible de l'abonné.
"Grâce aux solutions CDN d’Akamai, qui sont les plus performantes du secteur, Orange pourra répondre à la croissance exponentielle du trafic sur Internet, en particulier en ce qui concerne les services de vidéo HD et de e-commerce", explique le communiqué. "Les systèmes CDN utilisent un large réseau de serveurs pour diffuser des contenus évitant ainsi le stockage de ces données uniquement dans quelques serveurs. Cela permet d’améliorer l’efficacité du réseau tout en apportant un meilleur niveau de sécurité et de qualité de service pour les utilisateurs finaux grâce à une disponibilité accrue, à des accès plus rapides, et à des vitesses de téléchargement plus élevées".
De son côté, SFR a aussi annoncé le déploiement de sa propre solution maison, "conçue pour les entreprises disposant de sites Web à forte audience qui diffusent des données volumineuses (images, catalogues ou vidéos)". Contrairement à l'offre Orange / Akamai qui a une dimension internationale – même si l'offre sera d'abord commercialisée en France, SFR n'affiche clairement qu'une ambition nationale, avec un réseau déployé dans les douze principales villes françaises.
Le risque permanent du conflit d'intérêts ou de l'abus de position dominante
En principe, la fourniture d'un CDN par un opérateur télécom n'est pas un problème pour la neutralité du net. Les CDN fournis par Orange ou SFR doivent accélérer l'accès aux contenus pour tous les abonnés à internet, qu'ils soient chez Orange, SFR, Free, Bouygues Telecom, Numericable, OVH ou FDN… Le risque indirect est plutôt dans la stratégie commerciale que pourraient suivre les opérateurs.
Vont-ils continuer à améliorer leurs réseaux, y compris pour faciliter l'accès aux sites internet qui n'utilisent pas ces CDN ?
On se souvient qu'Orange a été accusé de brider le fournisseur de transit de MegaUpload (Cogent) pour favoriser sa propre offre commerciale OpenTransit. L'Autorité de la concurrence avait finalement donné raison à Orange sur son refus d'ouvrir les vannes à Cogent, mais en pointant tout de même du doigt "l'opacité des relations entre Orange et OpenTransit", et en soulignant le risque de pratiques discriminatoires à l'égard des concurrents.
Le risque n'est pas qu'Akamai favorise les abonnés d'Orange, ou que le CDN de SFR soit plus performant avec les abonnés de SFR, mais qu'Orange et SFR s'arrangent dans leurs propositions commerciales pour que les éditeurs aient intérêt à utiliser leurs services de diffusion de contenus plutôt que ceux des concurrents.
La question n'a rien de théorique et pourrait même se concrétiser rapidement, si la rumeur d'un rachat de SFR par Free se confirme. On sait que Free refuse d'ouvrir à ses propres frais les vannes pour rendre YouTube accessible dans de bonnes conditions aux freenautes, et que Google demande à pouvoir installer son propre CDN au plus près de l'infrastructure de Free. On peut imaginer que les négociations seront encore plus tendues si Free possède dans ses offres commerciales le CDN de SFR…
Le plus sage aurait été d'établir un cordon sanitaire entre l'activité de fournisseur d'accès à internet, et celle de fournisseur de prestations d'hébergement de contenus, pour éviter tout conflit d'intérêt. Mais cette bataille, beaucoup plus difficile à mener que celle pour la neutralité technique du réseau, semble définitivement perdue. Elle ne se résoudra désormais que sur le terrain judiciaire, en cas d'abus manifeste de position dominante.
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