En demandant au gouvernement de taxer Google pour lui apporter une importante source de revenus supplémentaires, la presse se place dans une situation inconfortable qui met le doute sur son indépendance. Un doute renforcé par la position diamétralement opposée de Mediapart, qui estime que les moteurs de recherche n'ont pas à payer pour indexer et mettre en avant les articles de presse sur un service d'agrégation.

Il ne faut y voir qu'une fortuite coïncidence. Car ce ne peut être que ça. Ce ne doit être que ça. Mais c'est sans aucun doute révélateur d'un état d'esprit qui dépasse cette simple concomitance d'intérêts, et trahit deux cultures journalistiques.

Le journal en ligne Mediapart, qui a publié les révélations sur l'existence d'un compte en Suisse qui aurait appartenu jusqu'en 2010 au ministre du budget Jérôme Cahuzac, et qui ré-affirme avec force ses informations (avec de nouvelles révélations ce vendredi susceptibles de donner une nouvelle dimension à l'affaire), est aussi à notre connaissance le seul quotidien national d'informations à ne pas demander au Gouvernement de créer une loi pour financer la presse en taxant les Google et autres agrégateurs de contenus. Les autres journaux, qui font preuve d'une étonnante perplexité voire d'une patente mauvaise foi devant les faits rapportés par leur confrère, sont tous membres de la récente Association de la presse d'information politique et générale (IPG), qui négocie avec Google sous le patronage bienveillant du gouvernement.

Prendraient-ils le risque de mettre en difficulté un gouvernement qui a déjà programmé l'adoption prochaine d'une loi pour aider leur financement en taxant Google ?

Qu'elle soit réelle ou fantasmée, légitime ou totalement idiote, cette interrogation a pour seul tort d'être possible.  

Car elle n'est possible que parce que la presse s'est placée elle-même dans une situation inconfortable de dépendance économique à l'égard des décisions futures du gouvernement. Elle se livre à une opération d'intense lobbying qui s'accompagne nécessairement, au pire d'actions de bienveillance, au mieux de simples soupçons que le traitement actuel de l'affaire Cahuzac ne fait rien pour calmer.

Mediapart, de son côté, ne semble rien attendre du gouvernement. Payant, le quotidien affiche une insolente rentabilité à deux chiffres quand la presse traditionnelle, elle, peine à trouver sa rentabilité et doit se réduire à demander l'obole. Non seulement le site d'Edwy Plenel attaque le Gouvernement, mais il peut se permettre de le faire sans y jouer son avenir. Il n'a pas besoin d'affirmer son indépendance, il l'a démontre. Il n'est dépendant qu'à l'égard de ses abonnés qui demandent des enquêtes de qualité.

Interrogé par Numerama, Mediapart nous indique qu'il suit la position du SPIIL, le syndicat de la presse indépendante d'information en ligne, qui a rejeté l'idée de taxer Google avec des arguments qui devraient toucher n'importe quel journaliste sensible à la qualité de son métier :

Alors que Google possède un quasi-monopole de la recherche sur Internet, notamment en France, de telles mesures ne feraient que conforter sa prédominance, et placeraient la presse numérique sous sa tutelle quasi-exclusive. Pourquoi ?  

  1. Pour être visibles sur la toile, les éditeurs de presse sont largement dépendants du référencement de leurs informations par Google. Cela provoque une uniformisation des contenus, les mêmes mots-clés et les mêmes thèmes étant traités en même temps par les éditeurs qui tentent d’arriver en tête des pages de recherche de Google. Cette course effrénée à l’audience entraîne un affaiblissement de la qualité des informations, et tue l’indispensable diversité de la presse.
  2. Si les éditeurs sont un jour rémunérés également par des taxes versées par Google, ils seront soumis à une double dépendance : dépendance pour l’audience et dépendance pour les recettes.

Le Spiil estime que les difficultés actuelles des éditeurs de presse ne seront pas surmontées par la création d'une nouvelle rente, mais par l’émergence d’un nouvel écosystème de l'information numérique, qui favorise l'innovation, la diversité et l'indépendance de la presse

Mise à jour : comme nous le fait remarquer Vincent Glad, cette position est partagée par les autres membres du Spiil dont font partie Slate et Rue89, deux sites qui marquent également une différence de traitement.

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