Les personnes condamnées pour violences sexuelles ont-elles le droit d'accéder comme tout le monde aux réseaux sociaux de leur choix ? À cette question, il est évidemment très difficile d'apporter une réponse définitive, tant les cas de figure qui peuvent se présenter sont différents. En filigrane, c'est évidemment le risque de la réitération de l'infraction qui se pose.
Car deux éléments se télescopent : d'un côté, il y a la volonté de protéger la société et d'empêcher de nouvelles victimes. De l'autre, il y a à prendre en compte le fait qu'une fois sa peine purgée, le condamné va se réinsérer dans la société. Et aujourd'hui, plus personne ne peut contester l'importance qu'a pris Internet dans la vie quotidienne de chacun. L'accès au net est devenu un commodité essentielle.
Une loi inconstitutionnelle
Aux États-Unis, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Chicago du septième circuit est venu alimenter le débat en estimant qu'une loi votée en 2008 dans l'État de l'Indiana et interdisant aux individus condamnés pour agression sexuelle d'accéder aux réseaux sociaux est inconstitutionnelle. La raison ? Les juges estiment qu'une telle interdiction va trop loin et affecte leurs libertés fondamentales.
Cités par Mashable, les magistrats notent que la loi "interdit largement la liberté d'expression au lieu de viser précisément des échanges inappropriés avec des mineurs. […] L'objectif de la dissuasion ne permet pas à l'État de restreindre la liberté d'expression au-delà de la nécessité de cibler un risque avéré". Faut-il le rappeler, le premier amendement de la constitution américaine encadre la liberté d'expression.
L'Indiana n'est pas le premier État américain à chercher à légiférer pour empêcher les délinquants sexuels de fréquenter les sites communautaires, très populaires, notamment chez les plus jeunes. La Californie, le Nebraska et la Louisiane ont tenté de faire passer des textes similaires, mais se sont heurtés à la frilosité des magistrats, qui ont à chaque fois rappelé à la très large portée du premier amendement.
La politique de Facebook
Cependant, la législation n'est pas le seul obstacle rencontré. Certains réseaux sociaux s'efforcent aussi d'empêcher ces personnes de s'inscrire ou de fermer leur profil dès qu'il est détecté. Dans ses conditions d'utilisation, Facebook annonce par exemple que "vous n’utiliserez pas Facebook si vous devez vous inscrire auprès des autorités locales en raison d’une condamnation pour violences sexuelles".
En fonction des circonstances, Facebook peut donc procéder au bannissement d'un certain nombre de comptes, quitte à scanner les conversations. En 2009, 3140 comptes ouverts par 2782 délinquants sexuels ont ainsi été fermés en vertu de la loi de l'Electronic Security and Targeting of Online Predators Act (e-STOP), qui oblige les délinquants sexuels condamnés communiquent toutes leurs adresses en ligne.
Un fait divers arrivé en France avait soulevé ce problème. À l'été 2011, le réseau social américain avait été assigné par une plaignante au motif que celle-ci a retrouver un délinquant sexuel qui s'en était pris à sa fille. Facebook avait alors fermé le profil du l'intéressé. Mais la justice a rejeté l'action de la plaignante, qui cherchait à l'empêcher de se connecter aux sites communautaires.
La question plus générale d'Internet
Si l'accès aux réseaux sociaux est une chose, qu'en est-il de l'accès à Internet ? Aux États-Unis, quelques décisions de justice tendent à le reconnaître comme une commodité essentielle permettant de profiter de ses libertés individuelles. Et celles-ci ne peuvent être limitées de manière disproportionnée par rapport aux faits et au risque réel de réitération de l'infraction.
Ainsi, nous relevions en 2010 qu'une cour d'appel fédérale basée à Atlanta avait confirmé le 24 août 2009 un jugement (.pdf) qui impose une interdiction à vie d'utiliser Internet, mais en janvier dernier la cour d'appel fédérale basée à Philadelphie a au contraire renversé un jugement similaire (.pdf), en estimant la mesure trop "draconienne".
En avril 2010, une cour d'appel située à Columbia a également estimé qu'une interdiction générale d'utiliser un ordinateur imposée à un délinquant sexuel pendant 30 ans était illégale au regard de la Constitution des États-Unis. Elle a jugé que le bannissement étant "substantiellement déraisonnable", et qu'il "interfère gravement avec l'objectif de réhabilitation" de la justice.
Des mesures de contrôle alternatives
Plutôt qu'empêcher à une personne ayant de pareils antécédents de fréquenter les réseaux sociaux ou d'accéder à Internet, des pistes alternatives peuvent vraisemblablement être explorées. De l'autre côté de l'Atlantique, au Royaume-Uni, un tribunal a refusé de priver un pédophile de son accès à Internet. En revanche, il devra communiquer son historique de navigation.
Les juges français ont pour leur part la possibilité de se servir de l'article 132-35 du code pénal pour interdire de communiquer avec des mineurs via un moyen de communication. Cela évite de s'en prendre à la connexion elle-même, d'autant que le Conseil constitutionnel en a fait une composante essentielle de la liberté d'expression. En priver un condamné paraît, dès lors, trop radical.
Aux États-Unis, l’État de Californie a suivi une autre piste. Via un texte de loi, les délinquants sexuels auront l'obligation de communiquer aux forces de l'ordre tous les identifiants et les pseudonymes qu'ils utilisent sue le net. Néanmoins, le texte a été suspendu provisoirement par la justice, afin d'en évaluer la constitutionnalité et vérifier si les mesures envisagées ne sont pas disproportionnées au regard des buts poursuivis.
Un débat ancien
La question de savoir si les condamnés pour agression sexuelle peuvent accéder à Internet et fréquenter les réseaux sociaux est ancienne. Déjà en 2002, une cour d'appel américaine avait renversé un jugement qui condamnait un pédo-criminel à ne pas utiliser d'ordinateur.
Il convient toutefois de noter qu'au fil des années, Internet a pris une importance capitale. Avec un accès Internet, il est possible de chercher un emploi, de travailler à distance, de payer ses impôts, de faire ses achats, de contacter l'administration, de commander des médicaments, de profiter de l'offre culturelle… pour ne citer que quelques-unes des possibilités offertes par le réseau des réseaux.
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