La riposte graduée ne se contente pas d’envoyer des avertissements aux internautes qui s’adonnent au piratage. Parfois, la procédure mise en place en 2010 pour lutter contre le téléchargement illicite avec la loi Hadopi débouche sur une action devant les tribunaux. C’est le scénario qui s’est joué à Dieppe, lorsque le tribunal correctionnel a condamné une internaute.
Selon Paris-Normandie, qui rapporte les conclusions de la justice, la jeune femme de 23 ans a été condamnée mardi à 200 euros d’amende avec sursis en vertu de l’article L335-4 du code de la propriété intellectuelle pour « reproduction ou diffusion non autorisée de programmes, vidéogrammes ou phonogrammes », un délit dont les plafonds atteignent trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende.
Si la condamnée échappe au versement effectif de l’amende, très faible par rapport aux peines maximales prévues par la loi, elle devra en revanche s’acquitter des dommages et intérêts et des frais de justice à quatre parties civiles (non nommées mais où figurent au moins deux syndicats d’auteurs), qui s’élèvent à 800 euros, mais aussi des frais de procédure, qui sont de 127 euros.
Dans cette affaire, il était reproché à la jeune femme d’avoir téléchargé cinq films « récents » entre le 5 juin 2014 et le 17 juillet 2015. Des faits qu’elle a reconnus devant les gendarmes, selon le tribunal, mais en expliquant qu’elle ne savait pas que c’était du téléchargement (en peer-to-peer, la Hadopi n’étant pas en mesure d’agir au niveau du téléchargement direct) ; elle pensait avoir à faire à du streaming.
Théoriquement, le streaming n’est pas non plus couvert par la riposte graduée. En effet, il est impossible pour un tiers — comme une société mandatée par les ayants droit pour traquer les internautes qui piratent — de connaître les adresses IP qui se connectent sur de tels sites ; seul le fournisseur d’accès à Internet le pourrait, mais c’est exclu. Or, sans l’adresse IP, impossible de remonter jusqu’à l’internaute.
Cela étant, il faut savoir que certains sites, comme Popcorn Time et Torrents Time, sous couvert de se présenter comme un service de streaming, utilisent en fait une technologie de P2P (en l’occurrence, le protocole BitTorrent) pour transférer les œuvres piratées jusqu’à l’internaute. Dès lors, dans cette condition assez particulière, l’adresse IP d’un internaute peut être « flashée » via la riposte graduée
Rappelons au passage que dans le cadre de la Hadopi, ce n’est pas le fait de copier ou de partager des œuvres en ligne qui est sanctionné mais le fait pour l’abonné de ne pas avoir empêché que son accès à Internet soit utilisé pour pirater (par lui, par un membre de sa famille, par un colocataire, par un tiers qui aurait piraté son accès, etc). C’est ce qui est appelé la « négligence caractérisée ».
Ce dispositif est un tour de passe-passe juridique : la finalité reste la lutte contre les téléchargements illégaux, mais pour y parvenir, puisqu’il n’est pas possible de savoir qui dans un foyer a piraté, l’adresse IP étant la même pour l’ensemble des personnes passant par le même abonnement Internet, le législateur a imaginé un défaut de sécurisation de façon à pouvoir sanctionner quand même.
Reste une question : pourquoi la jeune femme n’a-t-elle pas cessé de télécharger des films sans autorisation alors qu’elle aurait dû le faire dès le premier mail d’avertissement ? Il s’avère que les mails sont envoyés sur la boîte aux lettres de leur fournisseur d’accès, qui n’est pas forcément celle que les internautes utilisent (comme Gmail ou Yahoo Mail). Du coup, les mails Hadopi peuvent ne pas être lus.
Et les courriers recommandés envoyés à l’adresse postale ? La jeune femme a avancé une erreur dans l’adresse, selon Paris-Normandie, qui fait qu’elle ne les as pas reçus non plus. L’intéressée a également précisé qu’elle vit ses chez ses parents, ce qui a pu ajouter à la confusion. Mais le procureur, dont les réquisitions ont été suivies, n’a pas manqué de faire remarquer que les avis de passage ont bien été remis, selon La Poste.
À la barre, l’internaute et son avocate ont tenté de souligner sa bonne foi en expliquant ne pas avoir su faire la différence entre ce qui est licite et illicite, ce que la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet a eu l’occasion de relever au cours de ses enquêtes, En 2013 par exemple, 30 % de ceux qui téléchargent de la musique confondaient le légal de l’illégal.
« S’il y a eu des campagnes de publicité, c’est parce qu’il y a des confusions dans l’esprit du public. Les gens ne font pas la différence entre ce qui est licite et illicite. Nous n’avons pas affaire à une personne qui s’adonne à un téléchargement massif. Elle avait simplement l’impression d’accéder à un site gratuit », a ainsi plaidé l’avocate, lorsque la présidente a rappelé l’existence de campagnes de sensibilisation.
Aujourd’hui, la jeune femme s’est détournée du téléchargement du piratage et dit avoir pris un abonnement sur Netflix. Mais elle qui voulait télécharger des films « récents » devra prendre son mal en patience : du fait de la chronologie des médias, un film récent ne peut pas arriver sur la plateforme de SVOD plus tôt que 3 ans après la fin de son exploitation en salle.
Comme incitation à ne pas pirater, on a vu mieux.
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