Une fois n'est pas coutume, l'attaque du lobby des photographes professionnels étant faite ad hominem, c'est à la première personne du singulier que je répondrai dans cet article…

Ce mercredi, l'Union des Photographes Professionnels (UPP) a publié sur son site un communiqué de presse (trop d'honneur) qui me reproche d'avoir manqué de "rigueur journalistique" dans un article publié lundi matin, qui mettait en parallèle des conclusions prêtées à la mission Lescure de vouloir faire payer les Creative Commons (ce qu'il a déjà vigoureusement démenti) et une proposition de l'UPP de présumer payante toute utilisation commerciale d'une photographie.

Les choses devant apparemment être mises au clair, je reprendrai ici l'essentiel du communiqué de l'UPP, pour y répondre point par point :

Afin d’introduire un brin de polémique sur le site, Monsieur Champeau s’est risqué à une interprétation hasardeuse d’un article de Libération, éclairant sur des éventuelles pistes de réflexions envisagées par Pierre Lescure, en charge de la mission « Acte II l’exception culturelle ».

En effet, Sophian Fanen de Libération publiait quelques jours plutôt : « En parallèle, pas de dépénalisation des échanges non-marchands au programme, mais la volonté de « valoriser » les licences libres du type Creative Commons. La mission Lescure estime que laisser les œuvres circuler librement (ce qu’elles font déjà…) risquerait de freiner le développement de l’offre légale, en particulier VOD ».

Numerama.com s’est empressé de faire l’amalgame avec certaines propositions de l’UPP, qui auraient fortement inspiré la mission. Quelle influence ! Sous la plume de Monsieur Champeau, les deux phrases de Libération, d’ailleurs sans grand rapport l’une avec l’autre, ont muté en une « volonté de Pierre Lescure de rendre payante l’utilisation d’œuvres sous licence Creative Commons, pour contrer une forme de concurrence aux offres légales traditionnelles ».

C'est sans doute là une illustration de la leçon de rigueur journalistique que veut me donner l'UPP. On peut en effet admirer l'art de la coupure dans la citation, tronquée pour retirer ce qui n'appuie pas le propos. Car si l'UPP avait cité ma phrase dans son ensemble, elle aurait montré à ses lecteurs qu'elle commençait ainsi : "En première lecture, nous n'avions pas interprété ces deux phrases comme la traduction d'une envie de faire payer les oeuvres diffusées librement sous licence Creative Commons, ou autres. Mais certains les ont interprétées comme…". Le but de l'article étant d'expliquer pourquoi "certains" ont pu interpréter l'article de Libération dans ce sens. 

Pour bien expliquer les choses, il faut les remettre en contexte (ce que je n'ai pas fait dans l'article sur la réponse de Pierre Lescure, malgré sa violence, parce que j'ai l'habitude d'assumer ce que je publie même lorsque je trouve les réactions injustes). En arrivant au bureau ce lundi matin, j'ai vu qu'un tweet de Lionel Maurel (@Calimaq) avait été beaucoup repris pendant le week-end, dans lequel il citait un article de L'Informaticien. On pouvait y lire qu'il "se pourrait que les fichiers sous licence libre (Creative Commons) puissent être « valorisés » (c'est à dire rendus payants), leur libre circulation risquant de freiner le développement de l’offre légale".

A cet instant-là, avant de rédiger l'article qui me vaut un procès en manque de rigueur journalistique par l'UPP, j'ai répondu à Lionel Maurel que l'interprétation faite par L'Informaticien de l'article de Libération me semblait fausse… pensant contribuer à arrêter une fausse rumeur (d'où d'ailleurs le "nous n'osons y croire" qui débutait mon article, et les précautions oratoires qu'ont ignorées à la fois l'UPP et Pierre Lescure) :

S'est alors engagée sur Twitter une discussion intéressante dans laquelle Lionel Maurel m'a rappelé entre autres les propositions de l'UPP à la mission Lescure, qu'il avait analysées sur son blog. Et devant la force de l'argument, et me rappelant le précédent de la loi sur les oeuvres visuelles orphelines, c'est là que la décision a été prise d'écrire l'article et de le publier sous un titre à la forme interrogative, elle aussi ignorée, "Lescure envisage-t-il de rendre les Creative Commons payantes ?".

Voilà pour la forme. Maintenant passons au plus important… sur le fond :

L’UPP loin de « faire la guerre aux amateurs » qui, pour rappel, sont également auteurs, s’est d’ores et déjà exprimée sur les Creative Commons. La diffusion des œuvres ne doit pas se faire au détriment du financement de la création, essentiel à son renouvellement. Les Creatives Commons devraient permettre aux auteurs de créer un lien avec le public et non les pousser à renoncer à leurs droits.

L’UPP s’est donc uniquement prononcée contre l’option commerciale des licences Creative Commons qui permet à des sociétés de cumuler toujours plus de capital sans rémunérer les auteurs.

L’expérience pilote de la SACEM (voir ici) sous licence Creative Commons option non-commercial, lancée le 1er janvier 2012, a eu le mérite définir ce qu'est un usage commercial.  

Contrairement aux propos tenus par Guillaume Champeau, ce n’est pas forcément le cas d’une image publiée sur un site Internet où figure de la publicité.

Comme je l'expliquais dans l'article attaqué, l'UPP demande que toute utilisation commerciale d'une photographie soit présumée payante, sauf preuve de volonté contraire de l'auteur, et considère que la seule utilisation d'une licence Creative Commons ne vaut pas preuve contraire. Comme le détaillait Lionel Maurel, il faudrait faire une démarche active auprès de la société de gestion collective désignée pour facturer tous les usages commerciaux de photographies, ce qu'une partie importante d'auteurs de photographies libres ne prendraient sans doute pas la peine de faire. Le but étant de mettre, en pratique, les photos sous Creative Commons et les photos d'agence à un même coût, pour neutraliser une prétendue "concurrence déloyale" des photos amateurs. Or l'UPP ne me dément pas ce point, qui est l'essentiel. Elle se contente de contredire un détail (tactique habituelle de lobbyiste), sur la définition de ce que serait en pratique une utilisation commerciale.

Par ailleurs, lorsque l'UPP dit que l'option commerciale (en fait l'absence d'option "pas d'utilisation commerciale"… il faut être rigoureux) "permet à des sociétés de cumuler toujours plus de capital sans rémunérer les auteurs", elle applique sa seule vision biaisée. L'option permet surtout à des photographes qui ne cherchent pas à vivre de leurs photos de voir leurs clichés diffusés, que ce soit ou non au bénéfice de sociétés commerciales. Si l'auteur ne veut pas être rémunéré en argent mais simplement en notoriété, c'est un choix qu'il faut savoir respecter. Même s'il ne sied pas aux photographes professionnels, pour qui la concurrence de millions de photographies amateurs librement disponibles est effectivement un coup dur. Comme l'a été l'arrivée de la photographie pour les peintres portraitistes.

Ce raisonnement a également été soutenu par Lionel Maurel, tant repris par Numerama.com (!), dans son article “Le non commercial, avenir de la culture libre», le 18 octobre 2012, sur le site Owni. Il fait valoir, à juste titre, qu’une majorité des Commoners réservent l’usage commercial, notamment dans le secteur de la photographie, pour lequel ce modèle n’est pas adapté et dangereux pour la profession.

Je laisserai Lionel Maurel répondre sur ce point s'il le souhaite (mise à jour : il l'a fait).

La lecture de la proposition de loi sur les œuvres orphelines aurait sans doute permis à Guillaume Champeau de s’épargner quelques erreurs supplémentaires.

L’UPP a effectivement proposé un nouveau régime de gestion collective obligatoire pour les œuvres dites « orphelines ». Une société de gestion collective, agréée et légalement habilitée, exercerait les droits afférents aux œuvres orphelines et collecterait les rémunérations correspondant aux exploitations effectuées. Les SPRD reverseraient, bien entendu, les sommes perçues aux auteurs identifiés ultérieurement ! À l’issue du délai de prescription de 10 ans, elles seraient affectées à des actions d’aide à la création participant au financement et au renouvellement de la création dans les secteurs artistiques concernés. Cette proposition a pour objet de lutter contre la mention « DR » ou « Droits réservés » irrespectueuse des dispositions légales.

Non seulement nous avons lu la proposition de loi sur les oeuvres visuelles orphelines (les photographies dont l'auteur n'est pas identifié), mais nous l'avions analysée pour expliquer comment elle aboutirait à faire payer une grande partie des photographies créées sans prétention de rémunération par les amateurs, et diffusées sur Internet avec ou sans licence libre. 

Et je dois remercier l'UPP d'avoir elle-même pointé vers ses commentaires (.pdf) de la proposition de loi, dont une simple citation évitera d'avoir à ajouter quoi que ce soit : "Il est inexact et regrettable de considérer que les œuvres mises à disposition gratuitement ou quasi gratuitement sur Internet ne peuvent être qualifiées d’orphelines (donc devenir payantes, ndlr). Ces photographies sont généralement utilisées sans indication du nom du photographe. Il est impossible, à une telle échelle de masse, de prouver qu’elles sont anonymes par la volonté de leur auteur (…) L’UPP considère que la majorité de ces photographies dites « libre de droits » a vocation à être traitée sous le régime juridique de l’œuvre orpheline faute de capacité de l’utilisateur à identifier ou retrouver les titulaires des droits".

Il est de la responsabilité d'un journaliste de vérifier ses informations !

Les lecteurs jugeront.

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