La missive nous est arrivée par lettre recommandée avec avis de réception, envoyée le 28 février dernier. Par intermédiaire d'avocats, la société Election Europe a invité Numerama à "plus de mesure dans la critique du vote électronique à l'égard duquel le site (…) exprime une opinion qui, si elle peut, bien évidemment, être sévèrement critique, ne doit pas devenir dénigrante".
L'entreprise privée, dont le site officiel dit qu'elle a "invent(é) le vote par internet sécurisé en France il y a maintenant plus de 12 ans", nous reproche, en premier lieu, un photomontage que nous avions réalisé pour illustrer l'an dernier un article sur l'annulation judiciaire d'une élection réalisée avec Election Europe, obtenue par Force Ouvrière. Pour mémoire, le jugement du tribunal de Brest (.pdf) concluait entre autres que le logiciel d'Election Europe utilisé dans l'élection annulée "ne respectait pas les exigences légales puisque, faute d'expertise conforme, on ne peut s'assurer que le logiciel présentait les garanties de sécurité attendues". Notre photomontage était une capture d'écran du site officiel de la société, sur laquelle était à l'époque écrit "Cliquez, c'est voté !", et que nous avions modifié par "Cliquez, c'est voté ! annulé".
La société Election Europe estime que les faits tels que relatés dans notre article, avec son illustration, "tendent à faire croire au lecteur que le logiciel de vote électronique de la société Election Europe expose, de longue date, ses utilisateurs à une inévitable annulation de leurs élections là où, bien au contraire, la société que nous représentons organise plusieurs milliers de scrutins annuels sans jamais, avant le jugement du tribunal d'instance de Brest, avoir subi d'annulation du fait de l'usage du vote électronique". Elle assure même que son outil a été validé par "nombre de juridictions", y compris la cour de cassation (nous n'avons pas trouvé la référence d'un tel arrêt, d'autant que le mois dernier la Cour de cassation a refusé à Election Europe le droit de se pourvoir dans cette affaire de Brest).
Irrités par un article plus récent sur le vote par Internet
Mais l'on peut s'étonner qu'Election Europe nous reproche ainsi, aujourd'hui, une illustration d'article paru en juin 2012, il y a neuf mois.
La raison fondamentale semble être notre obstination gênante à critiquer le vote électronique, que l'on estime incompatible avec les principes de transparence de la vie démocratique. En effet, le courrier révèle que la société Election Europe prend mal notre article du 18 février 2013 sur la validation du vote par internet aux élections législatives par le Conseil constitutionnel, que nous avions illustré cette fois-ci par une urne opaque sur laquelle était inscrite : "Transparence ? Non. Faites plutôt confiance".
La société estime qu'il s'agissait, là aussi, d'un "dénigrement" à l'encontre de leur activité de fournisseur de solutions de vote par internet, même si la prestation en question a été assurée dans le cas d'espèce par Atos et la société espagnole Scytl, et non par Election Europe (rappelons à ce sujet qu'Atos nous avait lui-aussi mis en demeure de censurer un document que nous avions révélé sur les conditions techniques d'organisation du vote).
"S'il n'y a nullement lieu de mettre en cause la pleine liberté de votre site d'exposer la teneur des décisions de justice qui lui paraissent pertinentes, il importe cependant de prendre garde à des abus préjudiciables aux tiers et susceptibles d'engager la responsabilité civile délictuelle de votre société", conseille la missive.
Pour satisfaire aux demandes d'Election Europe, nous avons supprimé l'illustration de l'article le concernant, estimant qu'il s'agissait dans cette limite d'une demande raisonnable.
En revanche, toute forme d'intimidation ne fera que renforcer notre volonté de mettre en lumière les risques posés par l'organisation d'élections par Internet. Tout comme un éventuel procès ne fera qu'offrir la possibilité de médiatiser plus encore les raisons de notre opposition.
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