On a coutume de dire qu'en droit, toute oeuvre est protégée par le droit d'auteur dès sa création. Mais l'on oublie trop souvent de rappeler que cela ne vaut que pour les oeuvres dites "de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination" (art. L112-1 du code de la propriété intellectuelle). La jurisprudence a interprété cette formule comme une exigence d'originalité, qui n'est pas qu'une exigence de nouveauté. Il faut que l'oeuvre porte en elle "l'empreinte de la personnalité de l'auteur", c'est-à-dire qu'elle traduise les choix artistiques opérés par l'auteur. A défaut, l'oeuvre n'est pas protégée par le droit d'auteur et appartient au domaine public. C'est au juge, en cas de conflit, qu'il revient de trancher.
Ainsi par exemple, dans un jugement du 20 décembre 2012, le TGI de Paris a dénié la qualité d'oeuvres protégeables à toute une série de photographies du Concorde, en notant que "le seul fait de représenter des avions ou des éléments d’avions ne suffit pas à caractériser l’originalité du sujet dès lors que de tels choix sont le propre de tout passionné d’aéronautique".
"Une photographie n’est protégeable par le droit de la propriété intellectuelle que dans la mesure où elle procède d’un effort créatif et qu’elle ne vise pas seulement à reproduire de la manière la plus fidèle possible, un objet préexistant", expliquait le tribunal. Il s'agit d'un principe salutaire, puisqu'il replace le droit d'auteur dans un contexte d'encouragement à la création artistique, et pas seulement d'appropriation de certaines expressions. En permettant un élargissement du domaine public aux oeuvres qui ne justifient pas protection, il valorise d'autant plus celles qui méritent d'être protégées, et apporte une bulle d'air dans un monde où l'on ne peut plus copier.
Or M6 fait visiblement une application stricte de ce principe salutaire. Le blog culinaire Le Sol L'y Laisse s'est ainsi fâché de voir que sa photographie montrant les ingrédients du "Pot au feu de canard" avait été reprise sans autorisation et sans être sourcée par le magazine 100% Mag, dans le cadre d'un reportage sur les pots au feu. "Mon sang n'a fait qu'un tour et comme tout se négocie en ce bas monde, j'ai donc envoyé un mail aux services juridiques de M6 en leur demandant ce qu'ils comptaient faire pour me dédommager", raconte le blogueur (qui pour l'anecdote a bloqué le bouton droit sur son site en croyant ainsi pouvoir empêcher le copier-coller).
En toute logique du point de vue juridique, M6 l'a envoyé paître. "Ladite photographie ne présente à notre sens aucune créativité susceptible de répondre aux critères précités (le cadrage n’est pas recherché, les lumières ne sont que le reflet du milieu ambiant) ; de sorte que le producteur du reportage n’avait pas à vous solliciter en amont de la diffusion pour obtenir l’autorisation de reprendre votre photographie", a répondu le service juridique de la chaîne, bien peu soucieux de diplomatie.
La chaîne applique la jurisprudence fixée par la cour de cassation dans un arrêt du 20 octobre 2011, qui a mis en émoi la communauté des photographes culinaires professionnels. Elle avait en effet jugé qu'une photographie montrant les ingrédients de la bouillabaisse dans une assiette n'était qu'une "simple prestation de services techniques ne traduisant qu'un savoir-faire" du photographe, et que le cliché n'était donc pas une oeuvre de l'esprit protégeable. Le photographe s'était pourtant efforcé de défendre sa créativité en expliquant que son cliché représentait "une assiette sur laquelle se trouvent deux galinettes dont les têtes et les queues se rejoignent, placées en arc de cercle suivant la bordure de l'assiette et formant deux courbes harmonieuses", que l'assiette "est de couleur safran, évoquant la couleur de la bouillabaisse et de la bourride, plats marseillais réputés", que le long de la bordure de l'assiette courait "un liseré rouge dans les nuances de la teinte des deux poissons", ou encore que le "fond noir" donnait "au motif photographié un caractère particulièrement lumineux".
D'un point de vue juridique, donc, M6 a totalement raison.
D'un point de vue moral en revanche, le fait de ne pas même citer la source du cliché qu'il utilise, quand bien même serait-il libre de tout droit d'auteur, est sans doute répréhensible. C'est vers cela qu'une réforme du droit d'auteur doit s'engager : moins de systématisme dans la protection, mais plus de respect de l'auteur.
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