Et si de la lutte implacable contre le partage de fichiers naissait un sursaut démocratique ? Aux Etats-Unis, celle que l’on présente souvent comme la reine des démocraties modernes est notoirement pourrie par une forme de corruption institutionnalisée, qui permet aux élus de faire financer leurs campagnes électorales par des groupes de pression, qui peuvent verser leurs dollars sans limites. Or par définition, ceux qui ont de l’argent à perdre ou à gagner dans des réformes législatives sont aussi ceux qui peuvent se permettre d’en dépenser une partie dans des actions de lobbying visant à obtenir ou repousser ces réformes.
Parmi ces groupes de pression figure bien sûr l’industrie du cinéma, particulièrement puissante aux Etats-Unis, et plus largement toute l’industrie culturelle. Avant de devenir le vice-président des Etats-Unis aux côtés de Barack Obama, Joe Biden a passé toute sa carrière de sénateur à protéger les intérêts de la MPAA, de la RIAA et de la BSA, les trois grandes associations américaines du cinéma, de la musique et du logiciel. Au début de son premier mandat en 2009, Barack Obama a nommé d’anciens représentants de ces lobbys du droit d’auteur à des postes clés de son administration, notamment au Département de la Justice. Il a choisi l’avocat qui a obtenu la jurisprudence Grokster anti-P2P au poste très convoité de Solicitor General, d’où il exprime la position officielle du gouvernement fédéral devant la Cour Suprême.
Les manifestations des liens incestueux entre l’administration américaine et les puissances d’Hollywood sont légion, au point que les avocats de MegaUpload et de son fondateur Kim Dotcom, Robert Amsterdam et Ira Rothken, ont publié cette semaine un brûlot de 48 pages (.pdf) pour dénoncer la corruption du pouvoir dans l’affaire MegaUpload. Le document présenté par Kim Dotcom sous le titre « la vérité éclatera », avec en illustration un drapeau de la MPAA flottant au dessus de la Maison Blanche, explicite la théorie du complot évoquée dès mars 2012, et commence par cette déclaration sans détour :
La poursuite pénale contre MegaUpload et Kim Dotcom est prétendument la « plus grande affaire de droits d’auteur de l’histoire », impliquant des dizaines de millions d’utilisateurs dans le monde, et pourtant elle est basée sur des principes juridiques douteux et apparemment poussés par le désir de la Maison Blanche d’amadouer l’industrie cinématographique en échange de contributions de campagne et de son soutien politique.
(…) Le dossier du gouvernement des Etats-Unis contre MegaUpload est basé sur une théorie de violation pénale secondaire de copyright (une sorte de responsabilité pénale pour complicité par fourniture de moyens, ndlr). En d’autres termes, l’accusation cherche à tenir MegaUpload et ses dirigeants pénalement responsables des présumées contrefaçons réalisées par des tiers utilisateurs du service de stockage en cloud. Le problème avec cette théorie, cependant, est que la violation secondaire de copyright n’est pas, et n’a jamais été, un délit pénal aux Etats-Unis. Les tribunaux fédéraux n’ont aucun pouvoir pour pénaliser la violation secondaire de droits d’auteur ; seul le Congrès des USA dispose d’une telle autorité, et il ne l’a pas fait.
(…) Dès lors, l’affaire MegaUpload est la première fois que le gouvernement fait tomber un site web étranger – détruisant la société et saisissant l’ensemble des actifs de ses propriétaires (et les données de ses utilisateurs), sans même une audience devant un tribunal, basé sur un délit pénal qui n’existe pas.
Tout au long du document, les avocats développent l’idée que MegaUpload n’aurait été fermé que pour remercier l’industrie du cinéma qui finance les campagnes électorales, et qui voulait la tête du principal service de téléchargement direct. A titre d’illustrations, ils évoquent une déclaration du nouveau patron de la MPAA, Chris Dodd (qui se trouve être l’un des meilleurs amis de Joe Biden), lorsque de nombreux élus ont commencé à ne plus soutenir les lois anti-piratage SOPA et PIPA. « Ceux qui misent sur le soutien d’Hollywood doivent comprendre que les gens de cette industrie regardent très soigneusement qui va les soutenir lorsque leur travail sera en jeu. Ne venez pas me demander de faire un chèque pour vous quand vous craignez de perdre votre boulot, alors que vous ne me prêtez pas attention à moi lorsque mon boulot est en jeu« , avait-t-il déclaré sur Fox News, évoquant très ouvertement une forme de chantage aux contributions financières.
Sans doute les administrateurs de The Pirate Bay, qui ont-même dénoncé les pressions des Etats-Unis sur la Suède et un simulacre de procès sous influence, auraient aussi beaucoup à dire. Tout comme les citoyens français qui ont vu l’indigence du débat parlementaire sur la loi Hadopi auraient beaucoup à dire sur la moralisation de la vie politique.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’une des personnalités les plus engagées actuellement contre la corruption aux Etats-Unis est le juriste Lawrence Lessig, qui s’est d’abord fait connaître par la création des licences Creative Commons et son combat pour un rééquilibrage des droits d’auteur au profit des droits du public. C’est en se confrontant au contrôle qu’exerçait Hollywood sur Washington que ce professeur de Harvard a décidé de s’attaquer frontalement à la corruption institutionnalisée, dont il a fait désormais son sujet de prédilection :
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