Pour un petit shoot d’adrénaline, Gregory Allen Justice serait prêt à vendre père, mère et patrie. C’est du moins le pathétique portrait que dresse le Los Angeles Times de cet ingénieur bonhomme, un brin minable, plus passionné par les films Jason Bourne que par sa propre vie.
Justice a un parcours jonché de déceptions et de revers. Alors qu’il approche la cinquantaine, avec sa femme malade, son emploi qui stagne et des rêves cathodiques qui jamais ne s’approchent de près ou de loin de son pavillon californien, l’ingénieur est prêt à tout laisser tomber. Il n’est pas et ne sera jamais un de ces espions, silhouette élancée, costume sombre, mannequin au bras, qu’il voit dans ses fictions préférées : Bourne, Bond et The Americans, la série de FX.
Cette série, qu’il regarde assidûment, le plonge dans un univers merveilleux et réconfortant : en pleine ère Reagan, le monde se divise encore en deux blocs, blanc sur noir, noir sur blanc. Dans ce petit univers clos que chéri Justice, les hommes ont de la barbe et l’accent slave, ils infiltrent la machine d’État américaine pour en livrer les secrets à des agents dormants. Nous sommes alors en pleine guerre des étoiles reaganienne, et le monde fixe l’espace pour savoir qui des rouges ou des bleus y posera son drapeau.
Pour quelques palpitations…
L’ingénieur qui a accès à des données militaires sensibles grâce à son poste chez Boeing finit par s’interroger : et si, lui aussi, il devenait un de ces super-agents tranchant, d’un revers de main, le sort du monde dans le secret des missions ? Il s’interroge peut-être même sur son futur matricule : après tout, il s’apprête à livrer à la Russie les secrets du travail de ses collègues.
C’est alors qu’il rentre en contact avec un homme qui lui explique être un espion russe. Nous sommes en décembre 2015, Justice frôle son plus vieux rêve. Il donne de multiples rendez-vous au prétendu espion de l’hiver 2015 à mai 2016. Toujours en Californie, non loin de son domicile, l’Américain multiplie les rencontres avec l’homme qui se montre généreux. L’ingénieur ne survole pas encore le globe à bord de son jet privé comme ses héros, mais jamais sa vie n’a été aussi intense. Il reçoit de la part de ce qu’il imagine être une ramification du KGB plus de 21 000 $ qu’il transmet à une associée, une certaine C.M.
L’ingénieur ne survole pas encore le globe à bord de son jet privé comme ses héros, mais jamais sa vie n’a été aussi intense
Lors de sa première rencontre avec l’espion, Gregory est flatté par les paroles de son interlocuteur mystérieux qui lui déballe, à la manière de ses feuilletons, un couplet sur son rôle déterminant dans l’avenir de l’Occident : « Vous êtes vraiment, vraiment très important pour les Russes. Je sais que vous avez expliqué vouloir une relation privilégiée, je suis donc curieux de savoir ce que vous voulez et attendez de nous… »
Aux anges, l’ingénieur comprend que son heure est venue, il raconte la maladie de sa femme, les factures, le désespoir et peint un misérable portrait de sa vie avant de confier rêver d’une relation régulière avec l’agent « comme dans The Americans » précise Justice.
Alors qu’il explique à l’espion qu’il vend les informations américaines en l’échange d’argent pour le traitement de sa femme malade, les coupures partent toutes dans des enveloppes FedEx en direction de Long Island. C.M. recevra également de la part de l’apprenti taupe un ventilateur Dyson, un téléviseur 4K, un sac à main du plus bel effet, une seconde télévision et 900 $ « pour t’acheter un iPhone. »
L’illusion d’une importance
Se succèdent ainsi cinq rencontres : l’ingénieur livre à ces occasions des clefs USB contenant divers tuyaux sur des satellites américains. Durant les quatre premières rencontres Justice se fait appeler Brian par l’agent, avant de confier à son nouvel ami son prénom véritable. Mais alors que l’ingénieur commence à faire confiance à son allié espion, ce dernier continue d’entretenir l’illusion qu’il est bien un agent russe — ce qu’il n’a jamais été, bien entendu.
Car la vie n’étant pas comme dans les films, Justice était en fait suivi de près par le FBI qui commençait à douter de cet ingénieur un peu pataud avec des accès bien trop importants pour lui.
Alors qu’il venait d’être rabroué par sa hiérarchie à qui il demandait une promotion, Gregory Allen Justice maugréait dans sa voiture : « Je vais arrêter d’essayer ! déclarait-t-il furieux. Pourquoi continuer de faire des efforts alors que je n’aurai jamais aucune récompense ? Je suis fatigué, je suis fini…. Je ne peux plus m’écraser sans être félicité pour ça. » C’est à ce moment-là que l’homme avait choisi de commencer son petit jeu d’espionnage… mais manque de chance, il était déjà surveillé.
Le département fédéral avait mis sur sa route un faux agent russe qui se trouvait être un agent du bureau. Ce dernier, qui pendant quelques mois a berné avec douceur et malice l’ingénieur désespéré, mettra fin à leur relation après leur cinquième rencontre.
Et puis tout est allé très vite : Justice a été arrêté. Sa fiction s’est terminée violemment sur ces rêves et 15 années de prison sont aujourd’hui suspendues au-dessus de sa tête. En péchant par orgueil, ou désespoir, Gregory Allen Justice a certes tout perdu, mais a vécu quelques mois en pensant être l’un des hommes les plus importants du monde. N’était ce pas là son unique rêve ?
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