L'opération de dézingage de la riposte graduée se met en oeuvre. Mercredi soir, la Commission des affaires culturelles de l'Assemblée Nationale recevait la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, pour entendre sa position suite à la remise du rapport Lescure. A cette occasion, comme il l'avait fait devant Pierre Lescure lui-même, le député socialiste Patrick Bloche a redit toute son hostilité contre la riposte graduée, qu'il souhaite voir disparaître en organisant la fronde parlementaire.
Sitôt l'intervention liminaire d'Aurélie Filippetti terminée, Patrick Bloche a usé de sa position de président de la Commission des affaires culturelles pour livrer son point de vue devant l'ensemble des députés qui devront écrire la version finale du texte présenté à l'examen parlementaire. Pour lui, "même avec des amendes du CSA", la riposte graduée reste inacceptable.
Le député socialiste, qui avait mené les batailles contre les lois DADVSI et Hadopi dans un duo remarqué avec Christian Paul, a rappelé que lors de ces deux textes, le législateur était déjà en retard sur les usages. Il a prié la ministre de ne pas commettre la même erreur avec le texte issu du rapport Lescure. Pour lui, "l'intérêt pédagogique de la contrefaçon de négligence caractérisée", qui sanctionne non pas le téléchargement illégal en lui-même mais le fait d'avoir mal sécurisé l'accès à internet pour l'empêcher, "est limité".
Pas de riposte graduée, mais privatisation de la lutte contre le piratage
"Les internautes sont un peuple migrateur", a-t-il rappelé, pour demander en creux que l'accent ne soit plus mis sur le seul P2P, au moment où les internautes utilisent des services de stockage à distance pour le téléchargement direct, et des sites de streaming.
En revanche, Patrick Bloche n'a pas dit un mot des autres propositions du rapport Lescure qui visent précisément à pousser les intermédiaires techniques et financiers à participer activement à la lutte contre le téléchargement direct et le streaming illégal. Pierre Lescure demande notamment que les moteurs de recherche aient l'obligation de déréférencer les sites accusés de piratage (y compris ceux qui n'ont pas encore été condamnés), que les opérateurs de paiement refusent les transactions en faveur de ces derniers, que les hébergeurs soient incités à les fermer sans attendre d'ordre judiciaire, ou encore que les régies publicitaires s'interdisent de les alimenter. Autant de techniques qui seront inefficaces, mais porteuses de risques démocratiques.
Selon nos informations, ces propositions — qui ne sont pas sans rappeler les défunts projets de loi SOPA et PIPIA américains, ne susciteraient pas d'opposition particulière dans les rangs socialistes. Au contraire.
Le maintien annoncé de la riposte graduée, et la bataille qui aboutirait à sa suppression, pourrait donc n'être qu'une porte-au-nez pour faire entrer sans débat ces autres propositions à l'effet beaucoup plus redoutable pour la liberté d'expression. Le risque est en effet d'aboutir à un système de justice privée qui pousse à censurer des plateformes entières ou certains contenus, au titre du risque qu'ils posent pour la préservation des droits d'auteur, quand bien même les plateformes ou les contenus en cause ne seraient pas illégaux en eux-mêmes.
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