Perpétuité confirmée pour Ross Ulbircht. À 33 ans, ce petit génie du deep web et libertarien maximaliste voit sa vie se refermer sur ses espoirs : sa peine ne sera pas allégée. Déjà condamné en 2015 à passer le reste de sa vie derrière les barreaux américains, Ulbricht nourrissait un mince espoir de s’en sortir.
Mais ce mercredi la cour d’appel de New York douchait les espoirs de celui qui s’élançait sur la route de la soie informatique il y a plus de cinq ans avec Silk Road. Le californien est donc toujours coupable, entre autres crimes, de blanchiment, trafic de stupéfiant, entreprise criminelle et piratage informatique.
Le procès de toutes les erreurs
Celui que le FBI avait arrêté alors qu’il parcourait les rayons science-fiction d’une bibliothèque de San Francisco espérait voir sa peine allégée grâce aux fautes graves commises par deux agences gouvernementales. Alors que le trentenaire voyait son empire s’écrouler sous ses yeux et ses 80 millions de dollars gagnés sur Silk Road partir en fumée, le FBI faisait face à des enquêtes internes… sur les enquêteurs du dossier Ulbricht.
La défense du libertarien était donc fondée sur ces éléments qui, selon l’accusé, montrent que son procès n’a pas été équitable. La cour de New York a balayé : rien ne sauvera le trentenaire. De nouveau condamné à perpétuité sans possibilité de libération, le jeune homme est déjà de retour au pénitencier qu’il ne quittera certainement plus jamais.
Et pourtant, les ombres qui pèsent encore sur le dossier laissent apercevoir de nombreux flous et une affaire définitivement singulière. Les fameux six assassinats commandés par Ulbricht pour protéger son entreprise criminelle n’ont toujours pas été prouvés. L’accusation avait pointé en 2015 des discussions entre des Hells Angels et Ulbricht parlant entre autres de « mettre sa tête [d’un des dealer associé] à prix, si cela ne te pose pas de problème. »
Provocante, la défense avait alors raillé les pièces de l’accusation : «Y a-t-il un moyen qui vous permette de vous assurer que Redandwhite [prétendument tueur à gage], Friendlychemist [prétendument victime du tueur] sont des personnes différentes, ou bien une seule et même personne ? », avait rétorqué l’avocat. L’agent qui avait apporté les conversations s’était démonté, répliquant « Pas que je sache, non ».
Le trésor du capitaine Ulbricht
Or si de nombreux chefs d’accusation ont été documentés, prouvés et acceptés par les magistrats dès 2015. Les conditions du procès étaient… épiques. Alors que les autorités fédérales alignaient leurs cartes pour faire plonger le jeune homme, deux affaires éclataient, liées à l’enquête, à l’intérieur du FBI. En effet, lors de l’incroyable course poursuite informatique qui opposait Ulbricht aux fédéraux, des agents s’étaient rendus coupables de graves détournements.
La saisine des flots de BitCoin transvasant de compte à compte sur la route de la soie avait éveillé des appétits parmi les troupes. En août 2015, une première tête tombait : un ex espion, Shaun Bridges, plaidait coupable et avouait avoir détourné plus de 800 000 dollars en BitCoin alors qu’il enquêtait sur l’affaire.
Deux mois plus tard, c’était un agent de la DEA, Carl Mark, qui était percuté par les détournements. L’enquêteur écopait alors de 78 mois de prison pour extorsion de fonds et blanchiment d’argent.
Face à une enquête à la nature presque inédite, les agences fédérales avaient perdu contrôle d’une affaire devenue folle. Les BitCoins notamment, vraies stars du procès, avaient aiguisé l’appétit des agents qui croyaient avoir trouvé le trésor de Rackham le Rouge, en version chiffrée et anonymisée.
« Nous n’aurions peut-être pas imposé la même peine »
L’appel, lancé par la défense, a au moins permis de remettre sur le devant de la scène les flous d’un dossier désormais légendaire. D’autant que la défense a présenté un plaidoyer particulièrement politique, forçant les juges à commenter la prohibition en Amérique. « C’est tout à fait possible, que dans un futur proche, nous regarderons ces politiques comme de tragiques erreurs » a-t-on ainsi pu entendre lors du procès en appel.
Cela n’a par ailleurs pas été la seule ligne d’attaque : l’idée que la peine choisie par le premier jury était démesurée avait déjà été questionnée, l’an passé, par le Juge Gerald Lynch. Embarrassés, les trois magistrats dépêchés à New York semblaient marcher sur des œufs. Ils ont par exemple du écarter ce que Lynch critiquait dans le précédent jugement : l’accusation, un rien sensationnaliste, avait fait peser sur la tête d’Ulbricht le témoignage déchirant mais hors propos des proches d’un usager de Silk Road, emporté par une overdose. Lier la mort tragique d’un toxicomane au sort d’Ulbricht n’est désormais plus considéré comme une corrélation rationnelle par la justice.
Face à un premier procès passionné et « pour l’exemple » comme le confiait la juge Katherine Forrest, les magistrats ont tempéré sans céder. Conscients des nombreuses erreurs du dossiers, ils ont conclu : « Les cours ont le pouvoir de condamner un jeune homme à mourir en prison, et les juges doivent exercer ce pouvoir avec un petit nombre d’affaires seulement après la plus profonde réflexion. »
Rappelons, ironiquement, que le procès Ulbricht a été la meilleure et plus impressionante publicité pour le commerce de la drogue en ligne. Le lendemain de chacune des étapes du procès relayées dans la presse, les successeurs de Silk Road ont vu leurs chiffres décoller. Historique, l’affaire aura eu l’étonnant effet de rendre complètement public ce qui était l’apanage de quelques geeks mafieux et toxicomanes hackers.
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