Si les indicateurs économiques de l’écosystème des startups françaises sont plutôt au vert, en 2017, la diversité manque encore à l’appel. Salima Maloufi Talhi, responsable du programme French Tech Diversité, est la première à le déplorer : « 87,6 % des dirigeants de startups françaises sont des hommes contre seulement 12,4 % de femmes ». Et le portrait-robot du dirigeant en question renforce ce constat : un homme de 39 ans passé par une grande école.
Loin de s’arrêter à ce simple constat, celle qui est chargée, avec l’aide du ministère de l’économie, d’apporter plus de diversité au sein de l’écosystème, a profité du Web2Day, le festival nantais consacré à la tech, pour mettre en valeur les changements possibles en la matière comme les apports de la diversité — qui s’entend au sens très large.
Elle était épaulée en ce sens par deux ambassadeurs du programme : Moussa Camara, président de l’association Les déterminés, qui encourage l’entrepreneuriat chez les jeunes, et Raodath Aminou, fondatrice de la startup Optimiam, une appli qui relie les commerçants locaux en temps réel aux consommateurs pour vendre moins cher leur surplus de nourriture.
« Si on ne fait rien, le système se reproduit naturellement »
Pour Salima Maloufi Talhi, l’acceptation de la mission proposée par la French Tech pour plus de diversité l’a vite amenée à clarifier une interrogation centrale : « L’une des premières question que j’ai posé en entretien, c’était : « qu’est-ce qu’on entend par diversité ? » Si on parle de « diversité « parce qu’on n’ose pas dire personnes noires ou d’origine maghrébine, moi ça ne m’intéresse pas. J’ai de l’expertise en matière de diversité et elle est bien plus large : agir en la matière, c’est mener une vraie politique d’inclusion, faire en sorte que chacun, avec ses différences, puisse intégrer une entreprise, un écosystème. »
Elle rappelle au passage que le manque de diversité est loin d’être le fruit d’une politique volontaire : « Quand on a peu de diversité, ça ne veut pas dire qu’il y a des bons et des méchants. Il y en a souvent peu parce que le système est fait pour se reproduire : ça demande plus d’effort de le changer et d’aller vers plus de diversité plutôt que de rester comme il est. Si on ne fait rien, le système se reproduit naturellement, avec le réseau des grandes écoles, etc. »
Loin d’un simple effet d’annonce, l’idée est donc de faire la part belle aux porteurs d’innovation et de projets méconnus qui sommeillent en France, en favorisant une pluralité de profils : âge, sexe, parcours… Mais pour entamer une sélection, des critères s’imposent, comme en convient Salima Maloufi Talhi : « Cela a fait l’objet d’une longue discussion mais on en a retenu plusieurs : les étudiants boursiers, les personnes qui bénéficient des minima sociaux, et celles qui vivent dans les quartiers de la politique de la ville. On a aussi ajouté une catégorie pour que ceux qui estiment mériter leur chance — comme les autodidactes — puissent postuler. »
30 % de femmes parmi les candidatures
Que trouve-t-on à la clé de ce programme qui ne s’adresse pas à des inconnus sans intérêt particulier pour le milieu en dirigeants de startups, mais bien à des talents déjà existants ? Une année d’hébergement et d’accompagnement dans un incubateur de startups, ainsi qu’un financement de 45 000 euros. Les 35 lauréats sélectionnés parmi les 274 projets reçus seront révélés au cours des prochains mois. « Sur toutes les candidatures, on compte 30 % de femmes, ce qui est un beau succès. Ça reste peu mais bien au-delà du nombre de dirigeantes de startups actuelles » souligne Salima Maloufi Talhi.
Les intervenants, bien conscients de l’aspect sensible de la diversité, soulignent que l’idée n’est pas de faire la guerre aux grandes écoles ou à certaines filières, mais simplement de valoriser, sur le même plan, des parcours différents. Ainsi, l’écosystème gagnerait à mettre en avant un créateur de startup venu de grande école et un(e) autre formé(e) à l’université, pour montrer que plusieurs parcours peuvent mener à la même réussite.
L’expérience personnelle de Moussa Camara en est un bon exemple. Celui qui côtoie au quotidien des jeunes de 18 à 35 ans — notamment — issus de quartiers populaires dresse un constat : « On s’est rendu compte que beaucoup d’entre eux se lançaient sans être dans un système ou réseau d’accompagnement comme un incubateur. Ils ont de bonnes idées, de bons projets, très souvent dans les nouvelles technologies, mais ces lacunes nécessitent des passerelles pour réussir.? »
« Tous les jeunes ne peuvent pas devenir entrepreneurs »
Il en sait quelque chose : « J’ai lancé ma première boîte dans les télécoms à 21 ans, sans être entrepreneur. J’aurais aimé avoir des conseils, un business plan, un réseau… au final, j’ai dû fermer l’entreprise au bout de 4 ans?. » Moussa Camara reste lucide : « ?On ne veut pas vendre du rêve en disant que tous les jeunes peuvent devenir entrepreneurs : c’est faux. Par contre, ceux qui possèdent cette volonté et cet état d’esprit, on doit pouvoir les accompagner ou au moins leur mettre le pied à l’étrier. C’est ce qu’on fait en 5 semaines intensives avec Les déterminés. »
Raodath Aminou, 27 ans, est bien consciente de représenter un parcours aussi prisé que jalousé : « J’ai fait des grandes écoles, Polytechnique… Il faut le dire : j’ai bénéficié d’un écosystème et d’un réseau. Mais pour autant, quand on se dit « fier » de m’avoir vu réussir en tant que femme noire, je réponds : « C’est touchant mais pourquoi vous ne le faites pas aussi ? » Certes, c’est plus compliqué, mais les gens comme moi ne savent pas forcément qu’ils peuvent entreprendre ou comment faire. »
J’en avais marre d’être la seule femme noire sollicitée
Elle a justement choisi de devenir ambassadrice de la French Tech Diversité pour aboutir à une meilleure visibilité des success-stories semblables à la sienne : « À chaque fois qu’on parle d’une femme noire entrepreneur ou d’une femme entrepreneur, on me cite en exemple. C’est très bien et je suis contente d’être sollicitée mais j’en avais marre d’être la seule citée : l’idée est de montrer qu’il existe d’autres personnes et que c’est faisable. »
L’impasse de l’isolement
La responsable du programme French Tech Diversité, elle, est convaincue que ces startups de la diversité porteront des innovations très différentes. Un sentiment partagé par Raodath Aminou : « Avec Optimiam [qu’elle a quitté en avril 2017], je contribue à apporter une solution à un problème existant, qui me concerne. Chaque personne a son quotidien : ce serait difficile pour moi d’apporter une solution dans les quartiers car je n’y vis pas. Mais quelqu’un de là-bas, avec sa startup, le fera. »
Le partenariat de Moussa Camara avec l’incubateur de startups Numa est porteur du même enthousiasme : « Arnaud Chaigneau [de Numa] m’a proposé dès notre première rencontre de collaborer. Il m’a dit : « J’accompagne des startups mais j’aimerais qu’elles soient à l’image de la société française ». Les Déterminés a commencé dans les quartiers mais on travaille désormais aussi dans les milieux ruraux. Il faut continuer à casser ces barrières. »
À ses yeux, le changement tient à un principe essentiel : « L’entrepreneur ne doit pas rester seul dans chambre à travailler projet, il doit aller dans des lieux collectifs. […] Nos entrepreneurs doivent faire partie intégrale de l’écosystème du pays, et pas rester ceux « des quartiers ». L’idée n’est pas d’isoler ou de créer une communauté interne dans le monde de l’entrepreneur mais vraiment de s’ouvrir à l’autre et de créer une construction entre ces univers qui se côtoient mais ne se connecte pas. Il faut interconnecter ces réseaux pour que de plus en plus de startups puissent éclore et se confondre. »
Il faut interconnecter ces réseaux afin que de plus en plus de startups puissent éclore et se confondre
La French Tech Diversité inclut logiquement un volet contre les discriminations liées à la couleur de peau ou à d’autres critères. Raodath Aminou en a été victime, même si elle refuse de parler de « frein » car elle a finalement pu mener son projet à bien avec Optimiam : « Je savais que j’allais réussir mais j’ai eu des doutes lors d’un rendez-vous, aux côtés de mon associé, avec un client [pendant la levée de fonds]. Au fil de la présentation, je ne sentais pas d’intérêt du client sur ce que je disais. Et il ne me regardait jamais. Peut-être parce que je suis une femme ? Ou une femme noire ? En tout cas, il écoutait mon associé. »
Son comportement change toutefois à un moment bien précis : « Arrivé au slide de présentation de l’équipe, il voit « Polytechnique » et « Rothschild » associés à mon nom et là il me lance : « Ah…. vous disiez ? »… Il y a quand même ces petits labels qui font « tilt » dans l’écosystème.? »
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