Le fait de fournir et de gérer une plateforme de partage comme The Pirate Bay peut-il constituer une violation du droit d’auteur ? Oui, vient de répondre la Cour de justice de l’Union européenne. Dans un arrêt capital rendu ce mercredi 14 juin, la juridiction a statué que ce type d’espace effectue un acte de communication au public et qu’il est donc susceptible de subir certaines conséquences.
Dans son communiqué de presse, qui prend en considération le passif de The Pirate Bay ainsi que la manière dont est organisé le site spécialisé dans les liens BitTorrent, l’institution fait ainsi remarquer que « même si les œuvres concernées sont mises en ligne par les utilisateurs de la plateforme de partage, ses administrateurs jouent un rôle incontournable dans la mise à disposition de ces œuvres ».
cette qualification est décisive. En considérant que la fourniture et la gestion d’une plateforme de partage doivent être considérées comme un acte de communication au sens de la directive européenne sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, la Cour ouvre la voie à des mesures contre The Pirate Bay, comme le blocage de l’accès au site.
La directive énonce en effet que « les services d’intermédiaires peuvent, en particulier dans un environnement numérique, être de plus en plus utilisés par des tiers pour porter atteinte à des droits. Dans de nombreux cas, ces intermédiaires [comme un FAI, qui peut agir en empêchant d’accéder à telle ou telle adresse web, ndlr] sont les mieux à même de mettre fin à ces atteintes ».
Elle complète : « par conséquent, sans préjudice de toute autre sanction ou voie de recours dont ils peuvent se prévaloir, les titulaires de droits doivent avoir la possibilité de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre d’un intermédiaire qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d’une œuvre protégée ou d’un autre objet protégé ».
La question juridique posée à la Cour de justice de l’Union européenne était délicate : il s’agissait de s’assurer si les dispositions de la directive sur le droit d’auteur s’appliquent ou non à un site comme The Pirate Bay, dans lequel aucune œuvre n’est hébergée. En effet, ce qui est uniquement accessible, ce sont les liens BitTorrent qui pointent vers lesdites oeuvres, l’échange lui-même se faisant entre les internautes.
C’est donc sur ce problème que la Cour de justice de l’Union européenne s’est penchée, en précisant d’abord la notion de « communication au public », qui n’est pas explicitée dans la directive, et en démontrant ensuite qu’elle s’applique à un cas de figure comme The Pirate Bay, qui implique à la fois un « acte de communication » d’une œuvre et la communication de cette dernière à un « public ».
« L’administrateur d’un site réalise-t-il une communication au public lorsque aucune œuvre protégée n’est présente sur ce site, mais qu’il existe un système […] dans lequel des métadonnées relatives à des œuvres protégées qui se trouvent sur les ordinateurs d’utilisateurs sont indexées et classées pour les utilisateurs de sorte que ces derniers peuvent ainsi tracer les œuvres protégées et les mettre en ligne ainsi que les télécharger sur lesdits ordinateurs ? ».
Une vieille affaire hollandaise
Telle était la question préjudicielle posée par la cour suprême des Pays-Bas dans une affaire opposant un organisme de défense de la propriété intellectuelle, Stichting Brein, et deux fournisseurs d’accès à Internet locaux, Ziggo et XS4ALL, au sujet du blocage de The Pirate Bay dans le pays, qui occupe les juridictions hollandaises depuis une petite dizaine d’années maintenant.
L’affaire a donné lieu à plusieurs décisions de justice, à une extension d’une injonction du blocage à trois autres opérateurs néerlandais ainsi qu’an lancement d’une procédure en appel. S’est alors posée la question de l’efficacité d’une telle mesure contre le piratage, alors que des décisions prononcées en deuxième instance ont fini par renverser les premiers jugements.
Le dossier avait fini par remonter jusqu’à la cour suprême, qui s’est tournée vers la Cour de justice pour éclaircir un aspect du droit. C’est donc ce qu’elle vient de faire mercredi 14 juin. Il appartient désormais à la juridiction nationale de résoudre l’affaire, en s’appuyant sur ces précisions. Car ce n’est pas à la Cour de justice de l’Union européenne de trancher le litige national.
Et le tribunal de rappeler que « cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire ».
Aux juridictions nationales de trancher le litige, en s’appuyant sur les éclaircissements de la Cour de justice
En France, cette question était « tranchée » depuis 2006 avec la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (dite loi Dadvsi), qui est justement la transposition dans la législation française de la directive européenne sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
La loi française a notamment donné naissance à l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle qui, par modifications successives, dispose « qu’en présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance […] peut ordonner à la demande des titulaires de droits […] toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».
C’est dans ce cadre que le tribunal de grande instance de Paris a ordonné, le jeudi 4 décembre 2014, le blocage de The Pirate Bay en France, à la demande de la société civile des producteurs phonographiques, qui représente les majors de l’industrie du disque. L’assignation vise les quatre principaux opérateurs français, à savoir Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom, laissant les autres FAI, notamment associatifs, sur la touche.
Le verdict français concerne les sites miroirs recensés au moment de l’affaire mais il n’affecte pas ceux qui sont apparus depuis ce verdict ni les nouvelles adresses que le site pourrait utiliser pour contourner la mesure. Dans ces cas-là, il faut que les ayants droit procèdent à une nouvelle action en justice. En clair, il n’y a pas d’automatisation dans la mise à jour de la liste des adresses que les opérateurs doivent bloquer.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Si vous avez aimé cet article, vous aimerez les suivants : ne les manquez pas en vous abonnant à Numerama sur Google News.