Dans neufs pays, 12 chercheurs réunis sous la tutelle de l’Université d’Oxford, ont épluché les preuves et stigmates d’une propagande étatique sur les réseaux sociaux.
En poursuivant l’idée de disséquer les mécanismes d’influence sur les réseaux sociaux, les responsables de l’étude internationale mettent en lumière des pratiques souvent étonnantes des États sur Facebook, Twitter et leurs concurrents.
La tentation mondiale de la propagande
Parmi les différents cas étudiés par les experts, la Russie fait figure de cas aussi à part qu’exceptionnel. Avec plus de 45 % des utilisateurs de Twitter en Russie qui seraient des bots, donc inexistant, le plus grand pays du monde est leader en matière de détournement des réseaux. Mais c’est un schéma que l’on retrouve en Chine, pays qui redouble d’effort du côté de Taïwan, où l’on va avoir également des milliers de bots téléguidés faisant la propagande électorale du Président Tsai Ing-Wen, favorable aux intérêts chinois sur l’île.
45 % des utilisateurs de Twitter en Russie seraient des bots
L’étude tend à montrer qu’il existe des volontés gouvernementales de prendre en otage les réseaux sociaux afin de les rendre plus légitimistes à l’égard des états, et cette volonté d’influence semble traverser tous les grands systèmes politiques mondiaux.
Si nous retenons les exemples éloquents de la Russie ou de la Chine, Samuel Wooley, directeur du projet, tient à rappeler que les États-Unis sont également nourris de cette stratégie. L’universitaire explique qu’il s’agit selon lui d’une prolongation de la fabrique du consentement de Noam Chomsky. Il explicitait déjà sa théorie sur Slate US au lendemain de l’élection de Trump.
Aux États-Unis, toujours, les chercheurs ont décelé ce qu’ils expliquent être un effet de mode (Bandwagon effect) porté par les réseaux sociaux en politique. Ils détaillent : « L’illusion d’un fort soutien en ligne pour un candidat peut, concrètement, provoquer une dynamique populaire par effet grégaire. C’est ce que Trump a réalisé en mettant Twitter au cœur de l’élection et les électeurs y ont porté leur attention. »
Les bots, chair à canon de l’influence
Partout où ils ont cherché à poser un diagnostic, les experts d’Oxford se sont confrontés à des bots. Pour eux, il s’agit véritablement du chaînon élémentaire de la propagande, même s’ils supposent, à leur tête, une prise d’initiative forte de la part de spécialistes de la propagande. Wooley fait cette analogie pour rendre compréhensible son analyse : « Les bots multiplient massivement le pouvoir d’une personne qui souhaite manipuler des internautes. Imaginez-vous qu’un de vos désagréables amis Facebook, celui de tous les pseudo-débats politiques, possède une armée de 5 000 bots. Ça deviendrait bien plus insupportable n’est-ce pas ? »
Du côté de la Fédération Russe, les universitaires apportent les preuves d’une influence à la fois internationale, mais également locale. En effet, pour Wooley et son équipe, les cellules de propagande russe ont d’abord exercé et entrainé leurs tactiques d’influence sur leur propre territoire.
« La Russie est le cas à observer pour découvrir comment un régime puissant et autoritaire utilise les réseaux sociaux pour contrôler les gens. »
Sergey Sanovich, le collaborateur des Anglais dans le pays, a pu ainsi retrouver des traces de manipulations massives des réseaux sociaux américains, mais également des très locaux Vkontakte et Yandex. Pour Sanovich « La configuration politique de la Russie de Poutine a créé le besoin d’outils de propagande en ligne souligne le chercheur, en référence aux aspects autoritaires du régime russe, avant d’ajouter : ce qui a galvanisé un marché en plein essor qui avait l’autorisation de répondre à ce besoin et de créer des outils d’influence qui seront ensuite déployés à l’étranger. »
Wooley, en complément de son collègue, tranche : « La Russie est le cas à observer pour découvrir comment un régime puissant et autoritaire utilise les réseaux sociaux pour contrôler les gens. »
Vers un futur manipulable ?
L’étude montre que les armes connues en Russie se retrouvent, d’abord, en Ukraine. Le pays frontalier est le laboratoire de tests des outils d’influence russes depuis que les deux nations se sont enfoncées dans une guerre sans fin. Toujours selon Wooley, l’Ukraine serait également un cas à part : « Nous pouvons y analyser ce que la propagande informatique sera dans cinq ans, c’est le pays test pour les tactiques russes. »
Enfin du côté des pistes que les chercheurs distillent pour lutter contre la mise sous influence des réseaux sociaux, on retrouve les législations récemment adoptées par l’Allemagne contre la désinformation.
Dans le rapport on peut ainsi lire : « L’Allemagne montre la voie en tant qu’autorité prudente en matière de propagande en ligne. Le pays préfère prévenir la manipulation en ligne de l’opinion plutôt que s’attarder aux différents problèmes que posent les mécanismes de propagande. » Mais les chercheurs nuancent le travail du gouvernement Merkel en notant que « la plupart de ces mesures manquent de légitimité et d’une mise en application appropriée. Et certaines sont disproportionnées si on considère leurs conséquences en matière de liberté… »
L’équilibre est loin d’être trouvé par nos voisins allemands. Pour l’équipe de Wooley, une grande part de la réponse viendra par ailleurs des réseaux sociaux eux-mêmes. Néanmoins, pour cela, il faudrait selon l’étude qu’ils soient davantage sollicités par les gouvernements et les internautes. Les universitaires notent en effet, par exemple, que les bots commerciaux sont mieux gérés sur Twitter que leur cousins politisés.
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