Une première série de 40 amendements au projet de loi DADVSI a été déposée par le rapporteur de la Commission des Affaires Culturelles du Sénat, Michel Thiollière. Le sénateur de la Loire, de confession UMP, a déposé quasiment tout ce qui pouvait accéder aux désirs les plus fous des lobbys de la culture et aller contre les droits du public et de l’industrie du logiciel libre.
Ratiatum a analysé point par point chacun des amendements et voici les principales dispositions que M. Thiollière veut voir modifier sur un projet de loi déjà désiquilibré :
1. Sur les exceptions aux droits d’auteur :
Le projet de loi voté par l’Assemblée Nationale accordait très peu d’exceptions aux droits exclusifs des auteurs et des producteurs. Les amendements de la Commission introduisent certes une nouvelle exception très demandée pour la recherche et l’enseignement, et harmonisent les exceptions aux droits voisins, mais réduisent l’effectivité de l’exception en faveur des personnes handicapées ! Alors que le texte actuel prévoit un dépôt numérique obligatoire des manuscrits dès leur publication, le rapporteur défendra au Sénat l’idée que le dépôt ne soit effectué qu’après une demande spécifique expresse des associations et entreprises spécialisées. Cette modification ne présente aucun intérêt si ce n’est celui de retarder le processus de transcription en Braille des œuvres littéraires…
2. Sur la protection des artistes amateurs et autoproduits :
L’Assemblée Nationale avait adopté une disposition qui affirme le droit de l’auteur à mettre ses œuvres gratuitement à la disposition du public. Cette écriture a pour effet bénéfique de libérer les auteurs qui, ayant signé à la Sacem, n’ont techniquement pas le droit de mettre leurs œuvres en Creative Commons. Pour éviter que la Sacem ne perde son emprise, un amendement présenté par M. Thiollière ajoute que cette liberté de l’auteur doit s’exercer « dans le respect des conventions qu’il a conclues« . Tout contrat d’un auteur avec la Sacem fera donc toujours obstacle aux Creative Commons…
Mais, et c’est sans doute l’amendement le plus symbolique d’une dérive inadmissible de la puissance des lobbys, il est fait proposition aux sénateurs de supprimer purement et simplement l’article qui prévoyait « la mise en œuvre d’une plate-forme publique de téléchargement visant à la fois la diffusion des œuvres des jeunes créateurs dont les œuvres ne sont pas disponibles à la vente sur les plates-formes légales de téléchargement et la juste rémunération de leurs auteurs« . Cet article présenté par le communiste Frédéric Dutoit avait pourtant fait l’objet d’une belle unanimité dans tous les rangs de l’Assemblée, sous les félicitations de MM. Donnedieu de Vabres et Vanneste. L’on voit mal l’intérêt de le supprimer, si ce n’est d’assurer à Universal, Sony BMG, EMI et Warner l’assurance de ne pas être sujets à concurrence.
3. Sur la rémunération pour copie privée :
L’exemption de taxe pour copie privée qui avait été accordée aux professionnels de la santé qui stockent leur imagerie médicale sur CD et DVD est supprimée. On refuse ainsi aux médecins le droit de se dédouaner de taxes qui, pour financer l’industrie de la chanson et des films, doublent le prix des supports vierges.
L’article 5 bis, qui obligeait lui à tenir compte de l’impact des DRM sur les usages des consommateurs avant de fixer le montant de la taxe, serait renversé dans sa logique. Plutôt que de baisser la taxe si la copie privé n’est plus possible techniquement, le nouvel article 5 bis proposé demande à la Commission de regarder l’incidence des DRM « sur le préjudice potentiel subi par les titulaires de droit« . Si le préjudice évalué par les majors ne faiblit pas malgré l’utilisation des DRM, les consommateurs payeront toujours autant de taxe.
4. Sur les DRM et l’interopérabilité :
M. Thiollière l’avait déjà indiqué, il souhaite instituer une « Autorité de régulation des mesures techniques de protection » (ARMTP). Créée en substitut du Collège des médiateurs, celle-ci serait à l’image du CSA, à la fois régulateur et arbitre, sans grand pouvoir de persuasion. Signe que l’interopérabilité passe aux oubliettes de la loi, l’un de ses rôles se limite à « favoriser ou susciter une solution de conciliation » avec ceux qui « souhaitent améliorer l’interopérabilité« . Notons que l’interopérabilité ne peut pas être « améliorée ». Elle est ou n’est pas. Mais en outre, Michel Thiollière retire toute garantie au logiciel libre. Microsoft ou Apple pourront imposer aux bénéficiaires des données techniques de renoncer à la publication du code source s’ils démontrent à l’Autorité « que celle-ci aurait pour effet de porter gravement atteinte à la sécurité et à l’efficacité de ladite mesure technique« . Etant donné qu’il est par nature impossible de distribuer le code source d’un logiciel interopérable avec un DRM sans que cela porte atteinte à son efficacité, il sera dans les faits impossibles à la communauté du logiciel libre de proposer un lecteur de fichiers iTunes ou Windows Media…
Pour achever le tout, alors que les informations techniques devaient être fournies gratuitement, un amendement prévoit la possibilité de facturer le service.
Enfin en lieu et place du Tribunal de grande instance qu’il est possible de saisir dans la rédaction actuelle du projet de loi DADVSI, la seule action possible pour contester l’effet des DRM sera auprès… de l’ARMTP, qui a pour obligation de s’efforcer de concilier avant de contraindre.
MAJ : Ajoutons que l’exception d’interopérabilité qui autorisait à détourner les DRM à des fins d’interopérabilité serait également supprimée par l’un des amendements Thiollière.
5. Sur le bénéfice de la copie privée :
Soyez riches ou soyez cons, il faudra choisir. A l’image du Collège des médiateurs qu’il remplace, l’ARMTP sera juge et arbitre de la copie privée. Mais elle tue pour de bon tout le semblant de logique sociale qui subsistait dans le droit à la copie privée, et qui permettait à ceux qui n’en ont pas les moyens de profiter légalement d’une œuvre qu’ils n’ont pourtant pas payé. La nouvelle rédaction de l’article 8 de la loi donne en effet la possibilité à l’Autorité de « subordonner le bénéfice effectif [de la copie privée], à un accès licite à une œuvre« . En clair, il faudra toujours sortir le porte-feuille pour prétendre accéder légalement à la Culture.
Il est enfin légitime de s’inquiéter de la composition de l’Autorité, qui fait aussi office d’organe consultatif pour le législateur. Là où le Collège des médiateurs était composé de 3 magistrats indépendants, l’ARMTP serait composée de 7 personnalités doit 3 membres de la société civile désignées à raison de leur compétence en matière de technologies de l’information, de propriété industrielle, et de propriété littéraire et artistique. Lorsque l’on sait que le conseiller Internet de Renaud Donnedieu de Vabres est Martin Rogard, fils du Directeur Général de la société d’auteurs en quatre lettres SACD, il y a de quoi craindre pour l’indépendance de ces personnalités nommées pour 6 ans par décret du ministère de la Culture…
6. Sur le P2P et l’amendement Vivendi :
L’article 12 bis, dit « amendement Vivendi » en raison de son instigateur, avait soulevé beaucoup d’émotions dans les rangs de l’Assemblée Nationale. Il prévoit de condamner le fait d’éditer ou de communiquer « un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public » d’œuvres piratées. Alors que cette logique a été refusée partout ailleurs dans le monde, on ne condamne pas l’usage mais l’outil. Pour limiter la casse, les députés UMP Carayon et Cazenave avaient porté l’adoption d’un troisième alinéa qui neutralise l’amendement Vivendi sur les « logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur« .
Le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres avait donné son avis favorable au vote de l’amendement Vivendi, sous réserve toutefois que les sous-amendements Carayon et Cazenave fussent adoptés.
L’amendement 22 de la Commission prévoit pourtant de supprimer purement et simplement ce troisième alinéa et de condamner ainsi même l’utilisation licite du P2P ! Encore une fois il ne peut s’agir que d’épargner toute concurrence aux majors, puisque les services comme Jamendo emploient les outils de P2P par soucis d’économie de bande passante. Il en est de même sur Ratiatum avec près de 3 millions de téléchargement légaux réalisés via les plate-formes de P2P les plus répandues. Mais c’est surtout un grand coup de poignard à la recherche et l’industrie française.
Notez cependant et de façon suprenante que l’article 14 ter, qui vise à obliger les éditeurs de logiciels de P2P à mettre en place un filtre, serait supprimé.
7. Sur les sanctions pour le téléchargement et l’upload :
C’est une véritable guerre contre le P2P qui est livrée, et elle est cette fois clairement nommée. Le dispositif de contraventions mis en place par le ministre, qui vise actuellement tout téléchargement ou upload via n’importe quel « service de communication au public en ligne« , deviendrait strictement limité aux actes réalisés sur des « logiciels d’échanges de pair à pair« .
Ainsi utiliser eMule pour s’échanger un MP3 serait passible d’une contravention de 150 euros, tandis que s’échanger le même MP3 via un service d’e-mail serait soumis au régime de contrefaçon traditionnel, de 3 ans de prison et 300.000 euros d’amende !
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