Les ayants droit se frottent les mains. Le coup politique est parfait. Sauf contre-temps de plus en plus improbable, le CSA sera bien d'ici quelques semaines le détenteur des pouvoirs de lutte contre le piratage détenus actuellement par l'Hadopi. Et s'ils se réjouissent, c'est que le CSA sera une Hadopi décomplexée, qui cessera enfin de vouloir modérer les ardeurs des lobbys culturels. Explications.

L'affaire est enclenchée. Mardi, à l'occasion de son audition par la commission des affaires culturelles du Sénat, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti a annoncé que le Gouvernement avait arbitré en faveur du transfert de la riposte graduée au CSA. Il se fera par la voie d'un amendement déposé par le sénateur socialiste David Assouline au projet de loi sur l'indépendance de l'audiovisuel public, sans que les députés de l'Assemblée Nationale puissent en débattre, procédure accélérée oblige. Le moment venu, le Parlement devra rejeter en bloc l'ensemble du texte s'il veut éviter le transfert de l'Hadopi au CSA, ce qui est extrêmement peu probable. 

En principe, il est interdit d'insérer ainsi dans un projet de loi une disposition qui ne répond pas directement à l'objet de ce projet de loi. Le Conseil constitutionnel pourrait considérer à juste titre qu'une loi sur "l'indépendance de l'audiovisuel public" n'a pas à étendre les compétences du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA), qui plus est vers un domaine qui ne relève pas de l'audiovisuel public. C'est un argument que tenteront de défendre les députés opposés au transfert, qu'ils voient comme une manoeuvre pour permettre au CSA de devenir le régulateur d'Internet.

Mais lors de son audition, le patron du CSA Olivier Schrameck s'est chargé en personne de déminer l'obstacle. "La jurisprudence sur les "cavaliers législatifs" permet d'échapper à une censure", a-t-il démontré, citant plusieurs cas récents approuvés par les Sages.

Acclamations d'Hervé Rony, promoteur infatigable de la lutte contre le piratage et fin connaisseur des arcanes étatiques. Après un passage dans diverses administrations, notamment au CSA, le lobbyiste a dirigé pendant 15 ans le puissant Syndicat National de l'Edition Phonographique (SNEP) où il a défendu les lois DADVSI et Hadopi jusqu'en 2009, avant d'hériter du poste moins exposé de directeur général délégué de la SCAM en 2010.

Sur Twitter, Hervé Rony n'a pas caché sa joie de voir l'Hadopi enterrée en direct sous ses yeux, et de voir la riposte graduée confiée à un CSA qu'il sait bien plus malléable que la Haute Autorité, dont la jeunesse s'est traduite par une certaine indiscipline.

C'est que deux mois auparavant, le même Hervé Rony s'en était pris durement au secrétaire général de l'Hadopi, Eric Walter, qui en réaction au rapport Lescure venait de lancer le chantier surprise de la légalisation du partage, avec une forme de licence globale dont les ayants droit ne veulent surtout pas entendre parler. Pire que tout, l'Hadopi disait elle-même à cette occasion que la lutte contre le piratage était vaine et qu'il valait trouver une autre voie. Alors que le chantier est lancé, le transfert au CSA y mettra immédiatement fin.

Contrairement à l'Hadopi qui a toujours refusé d'emprunter la voie du filtrage et du blocage de sites et services en ligne, le CSA en rêve. Numerama l'avait dit dès 2011 lorsque nous expliquions pourquoi l'Hadopi était une alliée de circonstances contre le CSA.

La voie royale pour obtenir le filtrage d'Internet en France

Le transfert de la riposte graduée n'est que le cheval de Troie qui permettra au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel d'hériter de l'ensemble des missions bien plus larges décrites à l'article L331-13 du code de la propriété intellectuelle. Le texte est très vague, assez pour permettre au Gouvernement d'utiliser la voie réglementaire pour préciser comment le CSA peut remplir la "mission de protection de ces œuvres et objets à l'égard des atteintes à ces droits commises sur les réseaux de communications électroniques".

Une interprétation envisagée du dernier alinéa de l'article L331-23 donnerait au CSA le moyen d'établir les fameuses listes noires de sites et services utilisés pour pirater, même s'ils sont en eux-mêmes légaux, et de la faire respecter par les éditeurs de logiciel de contrôle parental (en fait les FAI), lesquels pourraient bientôt être activés par défaut

Alors que l'Hadopi s'est toujours arrangée (pour diverses raisons) pour ne pas publier le minimum requis des logiciels de sécurisation, et donc pour ne pas encourager le blocage de sites et applications sur listes noires, le CSA n'aura certainement pas la même retenue. 

Les avertissements envoyés par le CSA aux abonnés à internet accusés de piratage se chargeront bien sûr de leur rappeler l'obligation d'installer un moyen de sécurisation (ce qui fera renaître au passage le spectre du mouchard imposé sur l'ordinateur de chaque Français).

C'est tout le calcul des ayants droit, qui enterrent Hadopi le champagne à la main, mais pas la riposte graduée, et moins encore la lutte contre le piratage par tous moyens. 

Pascal Rogard, autre incontournable lobbyiste de la Rue de Valois, n'a pas lui non plus caché sa satisfaction dès mardi soir, en taclant l'Hadopi :

Dans un communiqué publié mercredi, la SACD dirigée par Pascal Rogard a jugé "très positif le projet d’amendement que déposera David Assouline", et s'est "réjouit que la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, ait d’ores et déjà confirmé hier lors de son audition au Sénat l’arbitrage favorable et le soutien qu’apportera le gouvernement à cet amendement".

"Sans cette décision, que la SACD espère voir adoptée par le Parlement, elle craint que l’incertitude qui règne autour de l’avenir de la HADOPI n’affaiblisse et ne fragilise définitivement la réponse graduée", dit la SACD, qui n'a jamais suggéré la solution la plus simple : mettre fin à toute incertitude en confirmant l'Hadopi dans ses fonctions. "Alors que la contrefaçon illicite connaît à nouveau une augmentation forte, la SACD rappelle la nécessité d’une démarche pédagogique pour prévenir les téléchargements illicites des œuvres audiovisuelles et cinématographiques".

"Enfin, ce transfert permettrait de conforter utilement les compétences du CSA et de prolonger ainsi le rôle qu’il doit avoir dans la défense et le soutien à la création sur l’ensemble des supports de diffusion des œuvres, qu’ils soient analogiques, numériques ou connectés", conclut la SACD.

Les jeux sont faits.

(illustration : CC Antonin Moulart)

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