Contre le piratage sur Internet, les ayants droit du cinéma et de la musique peuvent envoyer jusqu'à 125 000 constats par jour. Or, Édition Multimédi@ a calculé que la moyenne des signalements effectivement transmis est beaucoup plus faible. Faut-il penser que le piratage en France a été surévalué ? Ou que ce faible seuil signifie autre chose ?

L'ampleur du téléchargement illicite en France a-t-elle été surévaluée ? C'est la question que pose Édition Multimédi@. Dans son dernier numéro, le site de presse rapporte que les cinq organisations ayant reçu l'agrément de la CNIL pour signaler les adresses IP suspectées de contrefaçon n'exploitent pas complétement – et de loin – le potentiel que leur confère le dispositif de la riposte graduée.

Concrètement, les cinq sociétés (SACEM, SDRM, ALPA, SCPP, SPPF, CNC) ont la possibilité de transmettre jusqu'à 125 000 constats par jour à la Hadopi, à raison de 25 000 signalements par organisme. Dès lors, il est attendu que ce plafond soit systématiquement atteint ; en effet, la France n'est-elle pas la championne du monde du piratage, comme l'affirmait Christine Albanel, ex-ministre de la culture ?

Problème, le nombre de de notifications quotidiennes livrées à la Hadopi est en décalage total avec le sombre tableau dépeint par les ayants droit. Si le téléchargement illégal était endémique, les cinq organismes devraient communiquer beaucoup plus de rapports à la Haute Autorité. Mais les calculs d'Édition Multimédi@ nuancent fortement ce panorama. Et ouvrent une série de questions.

"En trente-cinq mois d'activité de la Commission de protection des droits, le nombre de 'saisines' quotidiennes d'adresses IP de pirates présumés a été – au mieux de 3533 en moyenne par jour sur un mois, en l'occurrence en mai 2011 […] Il s'agit pourtant du cumul pour les cinq organisations", écrivent nos confrères. Ce seuil n'a depuis jamais été atteint à nouveau ni dépassé.

Sur près de trois ans d'activité (octobre 2010 à août 2013), la Hadopi a envoyé un peu plus de deux millions de courriers électroniques (2 084 847) en guise d'avertissement. Sur la période considérée, 35 mois, cela représente en moyenne 59 567 courriers envoyés mensuellement et environ 1985 mails transmis quotidiennement (en lissant tous les mois à 30 jours).

"C'est, toujours selon nos calculs, seulement 1,6 % du potentiel des 125 000 constats quotidiens envisagés au départ par les ayants droit", ajoute Édition Multimédi@, qui se demande si l'importance du piratage en France n'a pas été quelque peu "surestimée". C'est pourtant bien au nom du "piratage massif" qu'est justifié aujourd'hui le transfert des missions de la Hadopi vers le CSA…

Si le piratage est si fort, où sont donc les pirates ?

Ont-ils rejoint l'offre légale ? Ont-ils déserté les réseaux peer-to-peer pour se réfugier sous d'autres latitudes, hors des radars de la riposte graduée ? La Hadopi n'a en effet pas reçu les prérogatives nécessaires pour intervenir au niveau du téléchargement direct et du streaming, même si des réflexions en ce sens ont lieu depuis des mois pour agir sur ces autres modes d'accès aux œuvres.

En réalité, la réponse pourrait être tout autre. Les cinq organisations pourraient très bien ne pas avoir les moyens techniques, humains et financiers pour profiter pleinement du dispositif. C'était ce qu'expliquait le délégué général du Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs en 2010. Dans ces conditions, l'efficacité du dispositif et l'approche des ayants droit face au piratage doivent être interrogés une fois de plus.

Ne faudrait-il pas explorer d'autres voies ? Même la Hadopi y pense.

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