Internet étant le reflet de la société, il est normal d'y trouver toute la palette des émotions humaines. Or, une étude chinoise relayée par MIT Technology Review avance que la colère se propage beaucoup plus vite beaucoup plus largement que les autres sentiments, comme la joie. C'est en tout cas le constat qui a été fait en analysant les réactions des internautes sur le réseau social chinois Weibo.
L'étude doit évidemment être considérée avec distance, puisqu'elle s'est focalisée sur un seul service (certes très populaire) et concernant un groupe de population spécifique (les internautes chinois). Or, Weibo a souvent servi de lieu de protestation et de défouloir, en témoigne par exemple les commentaires très vifs sur le conflit territorial des îles Senkaku / Diaoyu qui oppose le Japon à la Chine.
Le fait divers national
De là à dire qu'Internet rend colérique, c'est est exagéré. Mais sans doute le net agit-il comme une caisse de résonance où les faits d'actualité sont immédiatement commentés à chaud (surtout lorsqu'ils sont polémiques), tandis que la réflexion distancée n'arrive qu'après coup et rencontre un écho bien moindre auprès des internautes. L'affaire du bijoutier de Nice l'illustre.
Suite à la mise en examen du bijoutier résultant du tir mortel sur l'un des braqueurs, le fait divers a donné naissance à une exaspération qui s'est concentrée sur une page Facebook. Celle-ci a gagné en quelques jours plus d'un million de soutiens (ou moins, à supposer qu'une partie n'est pas valide), où nombre d'opinions traduisent un agacement, une colère, un ras-le-bol.
Le défouloir Internet
Ces internautes ont-ils tort ou raison dans leur manifestation de soutien du bijoutier ? Chacun se fera une opinion. L'affaire est en tout cas complexe et chacun mobilise des ressources en ligne pour appuyer son point de vue. Les exemples pourraient être multipliés à l'envie mais le constat est le même : les internautes se servent de plus en plus du net pour alimenter leur propos.
Ce constat fait, à savoir qu'Internet agit comme une caisse de résonance, se pose ensuite la question de l'effet du réseau des réseaux sur notre propre comportement. Est-ce que cette relation fonctionne en sens unique (l'internaute ne fait que transposer ses émotions en ligne, via sa participation) ou est-elle à double sens ? Autrement dit, Internet nous affecte-t-il ?
Internet transforme la société. Et les hommes ?
Dire qu'Internet a bouleversé notre vie quotidienne relève du truisme. Le réseau des réseaux ne s'est pas contenté de connecter les hommes entre eux ; il a aussi un effet considérable sur la société dans son ensemble. Aucun secteur n'y échappe aujourd'hui, à tel point que restreindre le numérique à sa dimension économique ne rend pas bien compte du fait qu'Internet irrigue bien au-delà.
Mais quelle est la conséquence du net sur l'homme lui-même ? Depuis quelques années, une littérature s'est développée en France et à l'étranger pour essayer d'appréhender l'impact de cette révolution technique sur le cerveau mais aussi sur les comportements sociaux. Et dans ce domaine, l'essai le plus médiatique – et l'un des plus polémiques – a été écrit par Nicholas Carr, Internet rend-il bête ?.
Recâbler le cerveau
Dans son ouvrage, Carr s'interroge sur l'affaiblissement de la mémoire avec la généralisation des nouvelles technologies. Prenant l'exemple du GPS, il relève que les chauffeurs de taxi n'ont plus besoin de connaître le plan d'une ville par cœur. Ils délèguent ce travail au GPS, ils l'externalisent, ce qui leur permet ensuite de libérer leurs capacités cognitives pour autre chose. Autrement dit, le cerveau se recâble.
À vrai dire, les craintes de Carr ne sont pas nouvelles. En son temps, Socrate avait déjà soutenu l'idée que l'avènement de l'écrit, défendu par Platon, risquait de porter atteinte aux acquis de la culture, parce que les hommes "cesseraient d'exercer leur mémoire". La suite de l'Histoire montre que l'écrit, loin de concrétiser les prédictions de Socrate, a été le point de départ d'une première révolution du savoir.
Têtes vides
Derrick de Kerckhove fait un constat similaire. Cependant, l'ancien directeur du programme McLuhan sur la culture et la technologie n'adhère pas aux inquiétudes de Nicholas Carr. Avançant le concept des "têtes vides" (empty heads), il estime que les jeunes générations "ont externalisé leurs processus cognitifs". Pourquoi tout mémoriser alors que Google se charge d'être le cerveau du monde ?
Le numérique fait-il de l'homme un être symbionique ? En tout cas, en déléguant progressivement sa mémoire, l'homme choisit de recourir de plus en plus aux bases de données et aux moteurs de recherche. Ce savoir externalisé est disponible partout et tout le temps, grâce au développement du mobile. C'est une transition du stockage local (le cerveau) vers un stockage distant (Internet).
Éduquer les digital natives
"Ils recherchent une info sur Google plutôt que dans un livre, encore moins dans leur mémoire. […] Leurs têtes sont vides de ce qui a encombré celles de leurs parents et grand parents, mais ils sont loin d’être sots". Pour autant, une tête vide ne veut pas dire tête mal faite. Mais encore faut-il qu'une éducation au numérique soit apportée. Car les digital natives ne sont pas si talentueux que ça.
"Le risque est que ces « têtes vides » ne se remplissent que d’émotions et de violence. Le nouveau rôle des parents et des éducateurs devant être de les aider à contextualiser les informations entrantes pour donner du sens à leur vie". Autrement dit, l'aisance numérique s'acquiert par l'éducation, qui doit elle aussi se transformer pour amorcer ce virage illustré par Montaigne, "mieux vaut tête bien faite que tête bien pleine".
L'enjeu est là.
( photo : Schwer sauer – CC BY Achim Hering )
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