Dans un univers composé de bits et non d'atomes, les industries culturelles se sont mal accommodées des caractéristiques particulières de l'espace numérique. En effet, les fichiers dématérialisés ne sont pas des ressources rares et rivales. Il est possible de les dupliquer et de les partager à l'infini, sans jamais empêcher le propriétaire d'origine d'en profiter également.
Les contenus immatériels ne souffrent pas des contraintes pesant sur les biens matériels. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la loi ne considère pas une copie illicite comme relevant du vol. Le fichier n'est pas soustrait, il est dupliqué. Autrement dit, la copie numérique augmente la ressource. Cette situation ne convient pas aux industries, qui cherchent à calquer leur modèle dans l'espace numérique.
Ces dernières cherchent donc à reproduire artificiellement le phénomène de rareté du monde physique, notamment pour vendre des "contenus numériques d'occasion". C'est cette logique qui a donné naissance aux mesures techniques de protection (DRM), qui sont considérées comme de véritables menottes numériques. Et pour cause, elles n'existent que pour limiter l'accès ou l'usage d'un fichier.
Les verrous numériques
Aucun type de fichier n'est épargné : on trouve des DRM dans les vidéos, la musique, les jeux vidéo, les bandes-dessinées ou les logiciels. Les livres électroniques n'y échappent pas non plus. Il faut dire que les éditeurs n'ont pas vraiment l'intention d'abandonner ces verrous de contrôle ; en fait, ils désireraient plutôt les généraliser. Et les plateformes de vente sont complices de ce système.
En plus de limiter la jouissance du bien numérique, les DRM sont à la cause de quelques mésaventures navrantes. On se souvient par exemple de cette cliente Amazon ayant perdu toute sa bibliothèque de livres Kindle, sans explication. Ou de cet Américain qui n'a pas pu jouir de ses achats sur Google Play une fois franchie la frontière d'un autre pays.
Sans aller jusqu'à construire un robot anti-DRM, il faut bien se rendre à l'évidence : seuls les technophiles auront l'envie, les capacités et / ou le temps de s'y attaquer. Mais ils ne représentent qu'une petite poignée des internautes. La grande majorité d'entre eux devra subir cette pression technologique sans pouvoir y faire grand chose. Mais une idée pourrait peut-être changer la donne.
Escroquerie sémantique
Amazon est le leader sur la vente de licences de lectures numériques. Eux parlent de vente de livre, mais c’est une escroquerie sémantique.
— Team Isabelle Attard (@TeamIsaAttard) September 18, 2013
La vente de livres sous forme de fichier en format ouvert devrait bénéficier d’une TVA réduite, puisqu’il s’agit bien d’une vente.
— Team Isabelle Attard (@TeamIsaAttard) September 18, 2013
Nos confrères d'ActuaLitté se font l'écho de la suggestion d'Isabelle Attard, députée écologiste du Calvados. Son idée ? Ajuster le taux de TVA des livres électroniques selon s'ils contiennent des DRM ou non. Autrement dit, les livres électroniques sans DRM et optant pour un format ouvert pourraient accéder à un taux de TVA plus avantageux, tandis que les autres seraient assujettis à un taux beaucoup plus élevé.
Que dit l'élue, dont les propos ont été repris par Calimaq ? "Amazon est le leader sur la vente de licences de lecture numérique. Eux parlent de vente de livres, mais c'est une escroquerie sémantique. Le contrat que leur client accepte est un droit à lire, pas la possession d'un fichier électronique. La meilleure preuve en est qu’Amazon se donne le droit de supprimer les livres des comptes Kindle de leurs clients".
"Il est urgent de nous pencher sur la façon de mettre fin à ces systèmes fermés et privateurs qui enferment les clients sans possibilité de sortie […]. La vente de livres sous format de fichier ouvert devrait bénéficier d’une TVA réduite, puisqu’il s’agit bien d’une vente et les systèmes fermés comme ceux d’Amazon ou Apple, qui sont une prestation de service numérique, conserveraient leur TVA au taux normal".
Le livre électronique : un livre ou un service ?
L'idée de la députée part d'un constat. Aux yeux de la Commission européenne, le "téléchargement de livres numériques est considéré comme un service fourni par voie électronique". Dès lors, il ne peut bénéficier d'un taux de TVA réduit à 5,5 %. C'est le taux à 19,6 % qui s'applique. De l'autre, le gouvernement français a une approche plus prosaïque : un livre est un livre, qu'importe son format (livre papier, dématérialisé).
"Juridiquement, le principe de neutralité fiscale devrait assurer un traitement équivalent pour les livres disponibles par voie de téléchargement et pour les livres imprimés sur papier, dès lors qu'ils présentent le même contenu. Ce principe impose que deux biens similaires ne puissent faire l'objet d'un traitement fiscal différent", a avancé le ministère de la culture. C'est donc le taux réduit qui devrait être appliqué.
L'analyse différente entre la France et la Commission européenne a conduit la seconde à poursuivre la première pour l'obliger à respecter les règles communautaires. Cependant, le commissaire en charge de la fiscalité le reconnaît : "les questions au sujet du traitement fiscal des livres physiques et les livres numériques [devront] être abordées", car il y a manifestement un problème.
L'ebook est un livre quand il n'a pas de DRM. Sinon, c'est un service
La députée EELV propose donc une piste, qu'elle détaille pour ActuaLitté. "Nous proposons un compromis qui devrait mettre tout le monde d'accord. Il existe deux types de vendeurs de livres numériques : les écosystèmes fermés et les autres. Le Kindle, iTunes, sont des prestataires de services, comme l'expliquent leurs conditions générales".
"Comme ils ne vendent pas de livres, mais proposent une licence d'utilisation à l'intérieur de leurs appareils, sans aucune interopérabilité, ils pourraient être taxés avec une TVA à taux normal", poursuit la parlementaire. De l'autre côté, ceux faisant l'effort de parier sur des contenus libérés des DRM, ouverts et interopérables pourraient bénéficier d'un coup de pouce fiscal, en guise d'encouragement.
"Cela aurait le mérite de favoriser les systèmes les plus vertueux, tout en incitant à la création d'une offre interopérable et sans DRM. Tout ce qui va à l'encontre de l'interopérabilité, ou impose des contraintes de lectures serait alors soumis à une TVA de 19,6 %, en tant que services, et non vente d'un livre, donc d'un produit", conclut-elle.
Une piste dont la mise en pratique reste à faire
La piste de la députée Isabelle Attard est intéressante et mérite d'être considérée. Mais encore faut-il qu'elle soit effectivement suivie. Or, les tensions entre le ministère de la culture et la Commission européenne sur ce terrain pénalisent les tentatives d'arrondir les angles.
Par ailleurs, comment appliquer cette stratégie dans la mesure où Amazon applique la TVA luxembourgeoise (3 %) en France. TheSFReader rappelle à juste titre que "la TVA sur la vente à distance / électronique est actuellement basée sur le pays de déclaration du fournisseur de service". Cela étant, cette situation est temporaire. Au 1er janvier 2015, l'Union européenne renversera cette situation.
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