La "plongée au coeur de l'institution la plus détestée de France" n'éclaboussera pas grand monde. Ecrit par une ancienne agent de la Hadopi, le livre de Tris Acatrinei (Fyp Editions, 144p., 15 €) peine à répondre aux promesses de révélations d'une insider.

Que penser du livre de Tris Acatrinei, "Hadopi : Plongée au coeur de l'institution la plus détestée de France ?", qui vient de paraître chez Fyp éditions ? En reposant les 140 pages de l'ouvrage écrit par cette ancienne agent de la Haute Autorité anti-piratage, on se pose encore la question. La promesse, pourtant, était séduisante. L'auteure "raconte ce qui s’est vraiment passé et ce qui se passe encore entre les murs de l’institution", affirmait le communiqué de presse. Mais il faudra attendre pour avoir la moindre révélation ou même la confirmation de ce que nous racontions des tensions internes et des calculs politiques.

En réalité, Tris Acatrinei règle surtout des comptes.

Contre les anciens "experts-pilotes" des feux Labs Hadopi, accusés en substance d'avoir été pour la plupart payés à ne rien faire ou à laisser travailler les petites mains de l'institution ("certaines personnes étaient beaucoup plus intéressées par leur situation personnelle que par la notion de service public", "Pour son livre vert sur le filtrage, Jean-Michel Planche avait une deadline à respecter. Occupé ailleurs, il s'en était peu à peu désintéressé. (… Nous) travaillâmes dessus en catastrophe", …). 

Contre les ayants droits, accusés de tirer dans le dos de l'institution ("Quand on débarque à l'Hadopi, on sait qu'on va se mettre à dos à peu près 75 %des internautes français (les 25 % restants s'en fichent). Mais on se dit très naïvement qu'au moins, on va avoir le soutien des ayants droit").

Contre la ministre de la Culture Aurélie Filippetti qui "n'a jamais rencontré la Direction de l'Hadopi et encore moins les agents", qui a passé son temps à critiquer l'inefficacité de l'institution, et qui "de source autorisée, n'était pas un bourreau de travail". "Cela nous consolait de voir qu'il n'y avait pas que sur l'Hadopi qu'elle avait de sévères lacunes", s'amuse-t-elle.

Contre la mission Lescure, accusée d'avoir fait semblant d'être indépendante alors que dès le le 26 septembre 2012, au tout début de la mission, un membre de la mission "a fini par me dire que le sort de l'Hadopi était déjà réglé et qu'une majeure partie de ses missions seraient confiées au CSA". "Les conclusions étaient déjà écrites", feint-elle de s'étonner (n'est-ce pas le cas de toutes les missions officielles ?)

Contre la presse en ligne, et en particulier, contre "deux webzines", que l'on devine être Numerama et PC Inpact, accusés de chercher à faire de l'audience en cassant Hadopi du soir au matin. "Depuis 2009, pas une semaine ne se passe sans qu'au moins deux webzines ne fassent leurs choux gras sur le dos de l'institution", écrit Tris Acatrinei, qui affirme que "le souci de vérité n'est jamais la préoccupation première des webzines".

Contre l'exception culturelle qui "ne profite qu'à une certaine catégorie de personnes, est un frein au développement de l'offre légale, coût cher aux contribuables et est en décalage avec les attentes des acteurs impliqués" et des consommateurs".

Idem contre la rémunération copie privée ("de source autorisée, on n'hésite pas à qualifier les organismes de gestion de la rémunération pour copie privée de "mafias" ne rendant de comptes à personne, pas même au ministère de la Culture").

On n'aurait pu citer également les critiques contre les lourdeurs internes de l'administration, ou encore contre les effets pervers des règles du marché public. Le livre est un récit permanent de frustrations, de ressentiments, dans lequel on n'apprend au final très peu de choses, et qui laisse même sur sa faim dans le constat d'échec de la riposte graduée. Tout juste propose-t-il du bout des lèvres d'attaquer plus directement les flux financiers des sites pirates, en reprochant à la presse de ne pas s'y intéresser davantage (Numerama y a consacré une analyse pour expliquer en quoi c'était une mauvaise idée). 

Pour le reste, et exception faite (mais sans détails) des problèmes avec la CGT-Culture et de quelques supérieurs hiérarchiques, l'ancienne agent dresse surtout des louanges à ses anciens collègues et à sa hiérarchie, en mettant un point d'honneur à casser l'image paresseuse du fonctionnaire. "Il arrivait que l'on enchaîne les journées et les nuits, sans interruption", écrit-elle. "Les agents de la DCRE (Direction de la Communication et des Relations Extérieures, ndlr) avaient des délais non négociables à tenir et il leur arrivait fréquemment de passer leurs nuits dans l'institution. Certains d'entre nous poursuivaient leur tâche à la maison. L'un des agents de la cellule de recherche dormait parfois sur place. Les juristes ne quittaient leur lieu de travail qu'exceptionnellement avant 20h, mêmes celles qui étaient chefs de famille". 

Moins qu'un livre qui livre des informations, c'est un message de soutien aux agents actuellement menacés d'un transfert douloureux vers le CSA. Un livre qui fera certainement plaisir à quelques dizaines d'employés de l'administration, et qui laissera indifférent tous les autres.

Dommage.

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