La déclaration est passée relativement inaperçue, elle était pourtant majeure. Le 7 octobre dernier, 10 organisations considérées comme les organes techniques et administratifs d'Internet ont signé une déclaration commune inédite, pour réagir aux révélations continues sur les programmes de surveillance électronique mis en place par les Etats-Unis à travers le NSA.
Réunis à Montevideo, en Uruguay, "les dirigeants des organisations responsables de la coordination de l'infrastructure technique de l'Internet au niveau mondial (…) ont exprimé leur vive préoccupation face à l'érosion de la confiance des internautes au niveau mondial suite aux récentes révélations de contrôle et de surveillance omniprésente", indiquait le communiqué. Il était signé notamment par le World Wide Web Consortium (W3C) chargé d'établir les standards techniques du web, et par l'Internet Engineering Task Force (IETF), chargé du protocole IP.
Mais surtout, le communiqué était également signé par l'ICANN, l'organisme chargé de veiller à l'organisation des noms de domaine, qui a appelé à "l'accélération de la mondialisation des fonctions de l'IANA et de l'ICANN vers un environnement dans lequel toutes les parties prenantes, y compris tous les gouvernements, participent sur un pied d'égalité".
Il s'agit d'un véritable coup de pied de l'âne à l'encontre des Etats-Unis — dont dépend l'ICANN, près d'un an après l'échec de la conférence de l'UIT à Dubaï, dont l'un des principaux enjeux était justement le transfert de gouvernance de l'ICANN vers l'ONU. Grâce aux scandales du programme PRISM mis en place par la NSA, les architectes du web disposent désormais d'un véhicule médiatique sans précédent pour pousser leur demande d'indépendance.
Le silence de Fleur Pellerin
Jeudi dernier, le Sénat français organisait un débat sur la protection des débats personnelles, où cette question s'est logiquement invitée au programme, par la voix de la sénatrice centristre Catherine Morin-Dessailly. Elle était justement l'auteur en mars dernier d'un rapport sur la perte de souveraineté de l'Europe en matière de données numériques, et a profité du débat pour étayer ses positions. "L'opportunité d'une plus grande implication de l'Union européenne dans la gouvernance de l'Internet mondial s'ouvre aujourd'hui, à la suite des révélations d'Edward Snowden sur l'espionnage d'internet par les États-Unis", a-t-elle assuré.
"L'Union européenne doit absolument profiter de ce qui vient de se passer à Montevideo pour réclamer, comme très récemment la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, une gestion multilatérale de ce système d'attribution de noms de domaine. Désormais, la supervision des fonctions critiques de l'ICANN doit être confiée à une structure multilatérale collégiale".
Lors de sa réponse, la ministre de l'économie numérique Fleur Pellerin n'a pas repris la balle au bond. A Dubaï, la France avait fini par rallier la position des Etats-Unis en s'opposant à l'adoption d'un nouveau traité, et rien ne montre que le scandale PRISM a redistribué les cartes. Tout juste a-t-elle admis, au sujet de l'omniprésence des acteurs américains sur le web (Amazon, Google, Apple, Microsoft, Facebook, Yahoo…), qu'il était "effectivement très urgent de faire en sorte que nous puissions, par une action avisée et collective sur l'écosystème de l'économie numérique, créer des champions, des acteurs qui auront une taille mondiale et qui, eux, respecteront nos valeurs et nos réglementations".
"La meilleure des batailles est bien celle-ci, selon moi : reconquérir une forme de souveraineté économique à travers l'émergence d'un véritable écosystème numérique européen", a-t-elle souligné. Mais Fleur Pellerin n'a rien dit sur l'espionnage étatique du web, et sur le contrôle réel ou fantasmé exercé par les Etats-Unis sur l'ICANN et les noms de domaine.
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