Le Conseil national du numérique peut-il peser sur la politique sécuritaire de l’exécutif malgré son rôle uniquement consultatif ? C’est le souhait que l’organisme vient de formuler dans une lettre, dans un contexte où l’état d’urgence a été prorogé une sixième fois par le parlement et alors que le gouvernement entend faire adopter une loi introduisant plusieurs de ses mesures dans le droit commun.
Interpellant le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, les trois vice-présidents du Conseil, Guy Mamou-Mani, Sophie Pène et Amal Taleb, disent « vivement » souhaiter accompagner l’action de la place Beauvau afin de « proposer une collaboration utile sur la question du délicat équilibre entre libertés et sécurité ». Car, s’ils ne le disent pas, ils trouvent que c’est toujours du côté de la sécurité que le curseur se déplace.
« Le Conseil est particulièrement préoccupé par la trajectoire sécuritaire opérée ces dernières années, en particulier sur le numérique et les réseaux d’échange. Dans le discours politique, ces derniers apparaissent bien souvent comme des ‘coupables idéaux’ », observe le Conseil. Internet est ainsi parfois considéré comme une zone de non-droit où la loi du plus fort régnerait.
« Ainsi servent-ils généralement de terrain d’expérimentation pour le déploiement dans le droit commun des instruments sécuritaires, l’opinion publique s’accommodant plus facilement d’une surveillance en ligne globalement considérée comme moins intrusive », continue l’organisme consultatif. Après tout, n’entend-on pas parfois des internautes dire n’avoir rien à cacher ?
Le chiffrement est un outil vital pour la sécurité en ligne
La missive revient en particulier sur deux enjeux qui intéressent directement le Conseil, à savoir le chiffrement et le fichier TES. « Le chiffrement est un outil vital pour la sécurité en ligne », rappellent les trois vice-présidents, alors que des déclarations de Gérard Collomb et Emmanuel Macron font crainte à un futur affaiblissement de la cryptographie au nom de la lutte antiterroriste.
Quant au fichier TES, qui a été déployé en France malgré la très vive opposition du Conseil qui a demandé à plusieurs reprises la suspension du décret d’application, l’instance « tient à réaffirmer ses préoccupations […]. Dans un contexte où les fuites de données sont légion et les attaques informatiques de plus en plus redoutables, la centralisation de ces données sensibles soulève des inquiétudes légitimes ».
À ce sujet, il sera intéressant de voir comment avancera le dossier du fichier TES dans un gouvernement où l’un des membres, en l’occurrence Mounir Majhoubi, aujourd’hui devenu Secrétaire d’État au numérique, s’était très fortement opposé à la centralisation d’autant de données personnelles sur la quasi-totalité de la population. Il avait également renouvelé ses critiques dans nos colonnes :
« Le plus gros problème […], c’est l’incompétence, le manque de transparence, l’absence de dialogue et les graves lacunes en matière de gouvernance. […] C’est un projet qui du début à la fin n’a pas été traité par les meilleurs experts possibles du côté de l’État », avait-il lancé. Mais, questionné sur l’idée la suspension ou l’abandon du fichier, le responsable numérique de la campagne de Macron s’était montré flou.
Reste à savoir si le Conseil trouvera en Mounir Majhoubi un relais utile pour faire remontrer les craintes de l’instance consultative au gouvernement. Le sera-t-il, lui qui en a été justement le président pendant près d’un an ? Les vice-présidents l’espèrent sans doute, car ils ne veulent plus que le renforcement de la sécurité se fasse en rognant sur le respect des libertés individuelles et collectives.
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