Alors que la fin de la neutralité du net vient d’être actée malgré des recours possibles, nous republions cet article expliquant à quoi ressemblerait le web français sans la neutralité.
Vous l’avez peut-être appris en lisant l’actualité : une journée de mobilisation a lieu le mercredi 12 juillet aux États-Unis pour défendre la neutralité du net. Décidée après le vote très controversé du régulateur des télécommunications, qui cherche à revenir sur les règles obligeant les fournisseurs d’accès à traiter tous les services en ligne de manière égale, elle rassemble de nombreux géants du net.
L’évolution de la législation américaine sur la neutralité du net n’a théoriquement pas d’incidence sur le paysage français, dans la mesure où les loi et les règles qu’applique le régulateur ne concernent que les opérateurs outre-Atlantique. Cependant, il faut toutefois garder en tête que ce qui se passe aux USA agit parfois comme un puissant prescripteur normatif, au point d’influencer les orientations d’autres pays.
C’est donc avec attention qu’il faut observer ce qui se passe chez nos voisins, même si en l’état actuel des choses, l’Europe a emprunté un tout autre chemin, dans la mesure où le cadre qui a été fixé est plutôt favorable à ce principe-clé (ce que n’a pas manqué de relever une association comme La Quadrature du Net, que l’on ne peut guère soupçonner de complaisance sur ce genre de sujet).
Reste que la neutralité du net n’est pas forcément un concept facile à saisir pour celui ou celle qui n’est pas très au fait du monde des réseaux. En résumé, il s’agit de dire que tout le trafic qui circule doit être traité de manière égale, c’est-à-dire sans discrimination, limitation ou interférence, qu’importe le destinataire, l’expéditeur, le type, le contenu, l’appareil, le service ou l’application.
Mais peut-être que quelques exemples concrets — dont on espère qu’ils resteront imaginaires — sont utiles pour en faciliter la compréhension, comme l’importance de la protéger.
Sur la vidéo
Avec la neutralité du net, vous pouvez regarder le service de vidéo à la demande que vous voulez, qu’il s’agisse de celui mis en place par votre fournisseur d’accès à Internet ou d’une plateforme concurrente. Dans les deux cas, l’opérateur est tenu d’être neutre dans la façon dont il vous délivre l’accès aux deux offres, même s’il a un intérêt financier avec l’une d’entre elles. Il ne vous fait pas non plus payer d’accès.
Sans la neutralité du net, un FAI pourrait très bien facturer l’accès à tel ou tel service de SVOD ou même à toutes les plateformes de vidéo sans distinction (YouTube, Netflix, CanalPlay, Dailymotion…). Ou il pourrait ne pas faire son maximum pour la qualité d’accès à un service de SVOD concurrent. Pourquoi en effet se forcer alors que vous pourriez très bien opter pour l’offre de votre FAI ?
Sur l’actualité
Avec la neutralité du net, vous n’avez pas à vous soucier des liens économiques que peuvent entretenir un média avec un opérateur. Vous voulez visiter L’Humanité ? Il suffit d’entrer son adresse dans le champ prévu à cet effet ou de passer par un moteur de recherche. Vous préférez Le Figaro, Le Monde ou Challenges ? Votre opérateur ne peut ni vous empêcher de vous y rendre ni brider votre accès.
Sans neutralité du net, vous pourriez devoir payer quelques euros en plus chaque mois sur votre abonnement pour accéder normalement à certains sites de presse. Par exemple, Altice, la maison-mère de SFR et Numericable, pourrait décider de privilégier les médias qui lui appartiennent (Libération, L’Express…) au détriment de groupes concurrents, alors discriminés.
Sur la musique
Avec la neutralité du net, vous êtes plutôt Deezer que Spotify ? Aucun souci : vous pouvez opter pour le premier plutôt que pour le second, votre opérateur doit faire de son mieux dans un cas comme dans l’autre. Idem du côté du forfait de téléphonie mobile, s’il n’est pas illimité : la consommation de données sera décomptée de la même façon si vous écoutez de la musique en 3G ou en 4G.
Sans neutralité du net, gare au « zero rating » ! Cette pratique méconnue consiste à ne pas facturer l’usage de certains services dans un forfait. Cette technique est assez fourbe car elle ne fait pas payer plus, mais elle permet de jouir d’un service sans limite, puisque son utilisation ne sera pas prise en compte dans le forfait. Ça semble formidable, mais ça a tendance à orienter un client vers ce service plutôt qu’un autre.
Sur la concurrence
Avec la neutralité du net, une startup peut se lancer sur Internet dans les mêmes conditions que tous les acteurs déjà présents sur le marché. Elle peut atteindre l’ensemble des internautes, exactement comme n’importe laquelle de ses rivales. Et pour s’imposer face à elles, ce sera sur la qualité et l’attractivité de ses produits et services qu’elle devra s’appuyer, et uniquement cela.
Sans neutralité du net, on peut tout à fait imaginer qu’un opérateur comme Orange, qui a de grandes ambitions dans la banque dématérialisée — il suffit de voir tout le ramdam que le FAI a fait autour d’Orange Bank –, cherche d’une façon ou d’une autre à entraver l’accès aux autres banques en ligne, comme Boursorama ou Fortuneo, ou à des acteurs plus petits mais relativement dynamiques, comme N26.
Sur les usages
Avec la neutralité du net, vous voulez faire de l’échange en pair à pair (P2P) via BitTorrent ou eMule ? Vous pouvez. Vous voulez accéder à des newsgroups ? C’est possible. Vous avez l’intention de passer un appel téléphonique en voix sur IP ? Là encore, aucun problème. L’opérateur n’est normalement pas censé mettre le nez sur les usages que vous avez de votre connexion, surtout si vous voulez faire autre chose que du web.
Sans neutralité du net, les opérateurs ont les coudées franches pour porter atteinte à certains usages. C’est une réalité qu’a mis en lumière une étude des régulateurs européens des télécommunications en 2012. À l’époque, on apprenait que près d’un FAI européen sur cinq bridait le P2P. La situation sur mobile était encore plus dégradée, avec des « mesures de gestion du trafic » encore plus limitatives.
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