En réponse à Marine Le Pen qui attaquait l’article 13 de la loi de programmation militaire, adopté mardi soir par les sénateurs, le ministre de l’intérieur Manuel Valls a menti sur la réalité du dispositif de collecte des données sur les réseaux, et sur sa prétendue validation par le Conseil constitutionnel en 2006. Explications.

Mardi, la présidente du Front National Marine Le Pen a été, à notre connaissance, la seule responsable politique à s’opposer avec fermeté à l’article 13 du projet de loi de programmation militaire, qui prévoit la possibilité d’une captation de données en temps réel sur les réseaux électroniques par des agents de l’Etat, sans contrôle judiciaire. Un texte adopté définitivement par les sénateurs dans la soirée.

C’est sur les antennes d’Europe 1 que Marine Le Pen avait livré la charge. « Le ministère de l’Intérieur, de la Défense ou Bercy pourront collecter des données de communication sans autorisation préalable et sans contrôle d’un juge. Ceci est extrêmement grave pour les libertés publiques, pour les libertés individuelles« , avait-elle attaqué face à un Jean-Pierre Elkabbach qui a pris la défense du texte :

https://youtube.com/watch?v=HO-FjItoXOk%3Ffeature%3Dplayer_embedded

Ce matin, le même Jean-Pierre Elkabbach a cette fois-ci repris l’argumentaire des opposants à l’article 13 et de Marine Le Pen, en demandant au ministre de l’intérieur Manuel Valls de réagir. « Il est cocasse de voir Marine Le Pen et l’extrême droite se préoccuper de nos libertés fondamentales« , a d’abord répliqué Manuel Valls. Cocasse, ou inquiétant de voir que le Front National est en effet depuis plusieurs années le plus fervent défenseur des libertés sur Internet (aux côtés d’élus Verts dont les leaders se font plus discrets du fait d’une certaine solidarité gouvernementale), alors que les partis traditionnels semblent incapables de prendre la mesure du problème, ce qui nous avait interloqué pendant la campagne électorale.

« Si l’on suivait leur position, cela affaiblirait nos capacités de renseignement. Nous avons parlé de terrorisme, nous avons parlé de trafic de drogue… Nous avons besoin de moyens pour lutter contre ces phénomènes, et sur le fond, la loi de programmation militaire ne fait que reprendre un dispositif validé en 2006 par le Conseil constitutionnel pour la lutte anti-terrorisme« , a ensuite enchaîné Manuel Valls. Il ajoute que « ce texte impose une autorisation préalable, délivrée par une autorité indépendante« .

Or c’est là une série de mensonges du ministre de l’intérieur. La décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 2006 portait sur un texte sensiblement différent de l’article 13 de la loi de programmation militaire, au moins sur ces points essentiels :

  1. Il s’agissait d’autoriser la « réquisition administrative » de données auprès des opérateurs, ce qui suppose un échange entre l’Etat et les opérateurs, alors que la loi de programmation militaire autorise la collecte « sur sollicitation du réseau« , sans nécessairement en référer aux FAI ou hébergeurs, et qui plus est « en temps réel » ;
  2. Pour valider la loi, le Conseil constitutionnel faisait remarquer que la réquisition « sera limitée aux données techniques » (adresses IP, historique des appels, géolocalisation, etc.), et non au contenu. Or, la loi de programmation militaire autorise le « recueil (…) des informations ou documents traités ou conservés » par les prestataires. Un document conservé n’est pas une donnée technique, c’est un contenu ;
  3. La loi de 2006 limitait la collecte de données aux seules fins de « prévenir les actes de terrorisme ». Celle de 2013 ne prend pas cette précaution et s’appuie sur le cadre très large des « interceptions de sécurité » pour autoriser le recueil des données pour la recherche « des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous » ;
  4. En 2006, le Conseil constitutionnel notait à juste raison que la réquisition administrative était « subordonnée à un accord préalable« . Or, contrairement à ce qu’a affirmé Manuel Valls ce mercredi matin, l’article 13 de la loi de programmation militaire ne prévoit pas un accord préalable, mais un contrôle différé. Les agents ont 48 heures pour informer le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) de ses collectes en temps réel, et en cas de doute sur la légalité, celui-ci a encore sept jours supplémentaires pour convoquer les deux autres membres de la commission et demander qu’il soit mis fin à la collecte. Au total, 9 jours de collecte illégale peuvent être réalisées.
  5. En 2006, le Conseil constitutionnel avait jugé que « le législateur a assorti la procédure de réquisition de données techniques qu’il a instituée de limitations et précautions, précisées ci-dessus, propres à assurer la conciliation qui lui incombe entre, d’une part, le respect de la vie privée des personnes et la liberté d’entreprendre des opérateurs, et, d’autre part, la prévention des actes terroristes, à laquelle concourt ladite procédure« . En dirait-il autant de l’article 13 de la loi de programmation militaire, étant donné les points visés ci-avant ? Rien n’est moins sûr.

Mais le Conseil constitutionnel sera-t-il saisi de l’article 13 de la loi de programmation militaire ? Là aussi, rien n’est moins sûr, tant le texte semble réunir l’Union Sacrée entre l’opposition et la majorité. Pour être déféré, il faudrait que 60 députés ou 60 sénateurs déposent un recours.

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