Contre les moyens terroristes utilisés par l’organisation État islamique, il ne suffit pas de gagner la bataille de Mossoul ou celle, à cours, de Raqqa. L’outil militaire est certes utile, mais il n’est qu’un élément de la réponse. Si rien n’est fait en matière politique, culturelle et religieuse, les succès opérationnels sur le terrain ne seront que de courte durée. La région replongera alors dans un chaos général.
Il faut donc gagner les cœurs et les esprits.
Et pour y parvenir, les gouvernements ont exigé des géants du net qu’ils s’engagent à leur tour dans la lutte idéologique contre Daech. En effet, les États, et en particulier la France, considèrent que les firmes technologiques ne peuvent pas rester les bras croisés et jouir du modèle de société occidental qui leur a permis croître et d’arriver là où elles sont sans participer activement à sa protection.
Car aux yeux de l’exécutif, le net joue un rôle-clé dans la radicalisation. Bernard Cazeneuve affirmait ainsi que 90 % de ceux et celles qui basculent dans le terrorisme l’ont fait après avoir fréquenté le réseau des réseaux (ce qui est un gros raccourci). Il serait toutefois naïf de croire que les communications en ligne ne jouent aucun rôle : au contraire, cela a été documenté, par le journaliste David Thompson par exemple.
Or une fois que la radicalisation est opérée, l’étape logique qui risque d’arriver après peut être l’envie de céder aux sirènes de Daech et d’aller faire la guerre au Moyen-Orient ou de monter une opération directement sur le territoire. Il y a donc eu très tôt la volonté de combattre la propagande terroriste en construisant un contre-discours que les géants du net auraient pour mission de mettre en avant.
Google s’engage dans le contre-discours
À la suite des attentats du 13 Novembre, le gouvernement français avait convoqué les grandes entreprises de la tech (Apple, Facebook, Google, Microsoft et Twitter), ce qui a abouti à une promesse de « stratégie offensive de contre-discours » à l’encontre de l’État islamique. Ainsi, Google a annoncé la mise en avant de contre-discours face au djihadisme, et mobilisé des vidéastes dans le cadre de Toi-Même Tu Filmes.
Les efforts de Google s’ajoutent aux pistes lancées par les politiques (avec l’idée par exemple d’instituer un passeport obligatoire à l’école pour Internet ou le sur-référencement des sites de contre-discours sur les moteurs de recherche) et aux actions déjà mises en place, comme le lancement du site Stop-Jihadisme, le blocage de sites terroristes, la lutte contre les bulles filtrantes ou l’achat de mots-clés.
Mais dans la mesure où la France entend sous-traiter sa communication anti-jihad aux géants du web, c’est du côté de la Silicon Valley qu’une bonne part des actions contre la radicalisation en ligne provient. La preuve : la dernière initiative de Google consiste à procéder à une redirection automatique des internautes lorsqu’ils cherchent des vidéos extrémistes sur YouTube.
« Aujourd’hui, YouTube déploie une fonctionnalité qui utilise la redirection, méthode qui a fait ses preuves : lorsque des gens recherchent certains mots-clés sur YouTube, nous afficherons une liste de lecture de vidéos sceptiques sur les récits de recrutement extrémistes violents », explique l’entreprise américaine sur son blog, afin de ne pas exposer des internautes à ce type de contenu
Changer l’opinion de personnes risquant de se radicaliser
Selon Google, l’intégration de cette fonctionnalité — que les internautes ne devraient pas pouvoir désactiver, celle-ci opérant a priori du côté des serveurs de l’entreprise américaine — est la dernière manifestation de ses efforts pour « aider à changer l’opinion de personnes risquant de se radicaliser ». À la place des vidéos pro-Daech, les internautes verront donc des vidéos dénonçant les crimes commis par l’organisation.
Pour l’instant, l’outil est dans une version assez préliminaire. Google indique que seule la langue anglaise est pour l’instant gérée mais que cela doit changer dans les semaines à venir (l’entreprise parle ainsi d’apporter cette fonction en Europe). Une adaptation en français est très certainement déjà sur les rails, dans la mesure où les pays francophones sont en première ligne face au problème de la radicalisation.
Il est aussi prévu d’adapter l’outil de sorte qu’il puisse s’appuyer sur l’apprentissage automatique. En clair, il faut que la liste des mots-clés filtrés par le système puisse être mise à jour sans intervention humaine, afin de pouvoir s’adapter dès qu’un nouveau mot-clé est utilisé pour atteindre du contenu jihadiste. YouTube indique également des ONG spécialisées vont travailler à la production de contre-discours en vidéo.
La question qui va néanmoins se poser à moyen terme est de savoir si la redirection des internautes sur YouTube cherchant des vidéos jihadistes ne va pas les conduire à se passer de la plateforme de vidéos : si en effet ils n’arrivent plus à trouver les discours qu’ils veulent entendre, ils pourraient bien se rendre sur d’autres sites qui n’affichent pas la même détermination à proposer du contre-discours
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