Les sénateurs Alain Anziani (PS) et Antoine Lefèvre (UMP) ont remis ce mardi au Sénat leur rapport sur le vote électronique, décomposé en deux parties. L'une consacrée aux machines de vote électronique installées dans les bureaux de vote, l'autre sur le vote par Internet. Très critique sur la fiabilité du vote électronique au regard des valeurs constitutionnelles, leur rapport ne propose pas néanmoins de l'interdire. Ils se contentent de proposer le maintien d'un statu quo en pérennisant pour l'essentiel la situation actuelle.
Sur les machines à voter, pour lesquelles nous avions consacré une grande enquête sur leur opacité lors de l'élection présidentielle de 2012, les deux sénateurs proposent de poursuivre le moratoire qui avait été décidé en 2007, qui interdit aux communes qui ne sont pas déjà équipées de commander des machines à installer dans leurs isoloirs. Mais ils suggèrent de maintenir l'autorisation pour une soixantaine de villes d'utiliser les machines dont elles disposent déjà, qui ont été agréées selon un cahier des charges élaboré en 2003 dont même le ministère de l'intérieur notait en 2007 qu'il est "largement insuffisant sur certains points en ce qui concerne la sécurité informatique des machines". Certes, les rapporteurs demandent un renforcement (timide) du cahier des charges, cependant ils ne demandent à aucun moment l'arrêt de l'exploitation des machines à voter agréées selon les règles de 2003.
"En définitive, le seul avantage décelé réside dans le gain de temps permis par le dépouillement électronique. Mérite-t-il de prendre, en contrepartie, tous les risques attachés à l’utilisation de l’électronique ? Vos rapporteurs ne le pensent pas", écrivent MM. Anziani et Lefèvre. Un constat sévère qui ne les privent pas de laisser une porte grande ouverte. "Il ne s’agit pas d’un refus de principe, mais bien de préserver la confiance de l’électeur. L’avenir proche permettra peut-être de réexaminer cette question à l’aune des avancées de la technique".
Constats très sévères sur le vote par internet
Sur le vote par internet, là aussi le rapport est sévère. Les sénateurs constatent que le vote à distance est aussi peu fiable que le vote papier par procuration, mais ils estiment que le principe de pragmatisme doit l'emporter dans les circonscriptions situées à l'étranger, et qu'il faut donc le maintenir. Même si sa mise à place n'a eu aucun effet sur le taux de participation.
Jugez plutôt du constat effectué par les sénateurs :
S’agissant de la sincérité du scrutin, il n’y aucune garantie que la personne votant « par internet » soit l’électeur concerné. L’authentification de l’électeur à l’aide uniquement d’un identifiant et d’un authentifiant adressés par voie postale ne constitue pas une garantie absolue. Ces éléments d’authentification peuvent avoir été détournés par un tiers, mal dirigés par les services postaux, voire monnayés par un électeur indélicat.
En outre, il est impossible à l’électeur de savoir si l’information enregistrant son vote a correctement retranscrit le choix qu’il a effectué et si cette information, à la supposer correcte, n’a pas été modifiée en cours d’acheminement jusqu’au serveur collectant les « bulletins électroniques ».
Comme le relevait Mme Chantal Enguehard lors de son audition, au-delà de l’hypothèse d’une attaque contre le système informatique, possible mais rare, le principal danger provient d’un bogue informatique.
En matière de vote à distance, la sécurité est d’autant plus délicate à garantir que la puissance publique n’a aucune prise ou moyen de contrôle sur le terminal qui sert à l’électeur à voter. L’électeur choisit librement le terminal de vote, le plus souvent un ordinateur personnel. Or, comme le rappelaient les représentants de l’agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI), les moyens pour parer tous les risques informatiques sont hors de prix pour un simple particulier. Ce risque est d’autant plus fort que selon les électeurs, les terminaux varient, de même que les logiciels et les navigateurs.
En matière de secret, l’absence d’un cadre formel comme le passage dans l’isoloir n’assure pas les conditions garantissant le caractère non-public du vote. L’électeur peut donc voter devant son ordinateur sous le regard et donc sous la pression plus ou moins forte d’un tiers.
Dans le cas du « vote par internet », le recours à un tiers paraît presque naturel pour les personnes peu rompues à l’usage des nouvelles technologies, notamment les électeurs les plus âgés. Lors des auditions, il a même été rapporté le cas de fêtes dont l’objet était de réunir, autour d’un moment de convivialité, des électeurs pour voter « par internet »
(…)
En intégrant un intermédiaire technique dans le processus de vote, l’électeur ne peut plus contrôler par lui-même le bon déroulement des opérations électorales. (…) En d’autres termes, l’électeur valide son choix sur son ordinateur mais n’a aucune garantie que son vote ait été bien pris en compte, ni que le sens de son vote n’a pas été altéré.
Les sénateurs vont même jusqu'à pointer l'indigence du Conseil constitutionnel, qui exige qu'un détournement du vote soit démontré avant d'annuler un vote par internet qui potentiellement peut être détourné. "Comment prouver un dysfonctionnement qui a eu lieu sans qu’aucun participant n’ait matériellement le moyen de le constater ?".
Aussi, MM. Anziani et Lefèvre proposent de maintenir la possibilité de voter par internet uniquement dans les circonscriptions réservées aux Français établis hors de France, avec une information renforcée des électeurs, et des pouvoirs renforcés pour les membres du bureau de vote électronique. "Il paraît inconcevable, comme il est pourtant fait état dans les observations de 2006 des trois experts, que le secret industriel du prestataire puisse être opposé aux membres du bureau de vote électronique", constatent les sénateurs. Mais là encore, leurs propositions sont très timides. Rien, par exemple, sur l'obligation de rendre les plateformes de vote open-source, ou de publier les spécifications et audit techniques.
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