Cette semaine avait lieu à São Paulo, au Brésil, la Réunion Mondiale Multipartite sur l'Avenir de la Gouvernance de l'Internet, autrement baptisée "NETmundial". La conférence des 23 et 24 avril, qui a été globalement perçue comme un succès, a abouti à la signature d'une déclaration commune (.pdf) dont les mots permettent l'enthousiasme… si l'on met de côté le fait qu'il est précisé dès l'introduction qu'il s'agit d'un texte "non contraignant", c'est-à-dire qui n'engage que ceux qui y prêtent de l'importance.
La déclaration a été négociée principalement par les gouvernements de 12 pays, dont la France, qui formaient le "haut comité" du NETmundial : l'Argentine, le Brésil, la France, le Ghana, l'Allemagne, l'Inde, l'Indonésie, l'Afrique du Sud, la Corée du Sud, la Tunisie, la Turquie et les Etats-Unis d'Amérique. A leur côté figuraient des représentants de l'Union Internationale des Télécommunications (UIT), du Département des Affaires Economiques et Sociales des Nations Unies, et des représentants de la Commission Européenne.
L'objectif du NETmundial, organisé depuis de nombreux mois en pleine polémique sur les révélations d'Edward Snowden et sur l'emprise des Etats-Unis sur l'ICANN, était de fixer de nouveaux "principes pour la gouvernance de l'internet", et d'établir une roadmap pour la transition vers un nouvelle organisation du pilotage politique et technique du net. Mais le document issu de la conférence va plus loin, en inscrivant des principes de respect des droits fondamentaux au sein des problématiques de gouvernance.
"Les Droits de l'Homme sont universels tels que reflétés par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et ceci devrait soutenir les principes de gouvernance de l'Internet", dit ainsi l'une des premières phrases du texte. Evoquant le droit à la liberté d'expression et d'opinion, le droit à la liberté d'association, le droit à la vie privée, l'accessibilité, la liberté d'accès à l'information, et le droit au développement, la déclaration du NETmundial rappelle que "les droits que les gens ont hors ligne doivent être aussi protégés en ligne". Elle pose même le principe d'une responsabilité juridique des Gouvernements qui doivent rendre compte de la protection des droits.
Validation d'une justice privatisée
Au sujet de la vie privée, devenu central avec les révélations sur la NSA, le texte assure que les internautes ne doivent pas être "sujets à une surveillance, une collecte, un traitement et une utilisation de données personnelles qui soit arbitraire ou illicite". La conférence appelle à un réexamen de toutes les pratiques et politiques de surveillance massive des communications. Mais il ne demande pas que la surveillance massive cesse totalement.
Même s'il n'est pas juridiquement contraignant, le texte reste rédigé de façon à ménager toutes les susceptibilités. Par exemple, concernant la liberté d'information, la déclaration stipule que "chacun doit avoir le droit d'accéder, de partager, de créer et de distribuer des informations sur Internet" ; mais il précise aussitôt qu'il faut que cela reste "compatible avec les droits des auteurs et des créateurs", lesquels ont le pouvoir de choisir qui peut diffuser et partager leurs créations.
De même, la déclaration comporte une jolie ode à la neutralité du net, en affirmant que "Internet devrait continuer à être un réseau de réseaux mondialement cohérent, interconnecté, stable, non fragmenté, évolutif et accessible, basé sur un ensemble d'identifiants uniques et qui autorise les paquets de données/informations à circuler librement de bout en bout quelque soit le contenu". Mais il précise en toute fin : "quelque soit le contenu légal". Ce qui implique que le contenu illégal peut être traité autrement, et donc qu'il est possible d'examiner les communications pour savoir si ce qu'elles transportent est légal ou non. Il suffit donc de modifier la loi pour influer sur la neutralité des réseaux, qui ne sera pas tout à fait neutre. Par exemple, un Netflix qui ne respecterait pas la réglementation française pourrait être bridé en suivant la lettre de de cette déclaration.
De même, mais de façon beaucoup plus inquiétante, le NETmundial valide la tendance mondiale au développement d'une justice privée sur Internet, qui remplace progressivement la justice étatique par un souci d'efficacité. La déclaration dit en effet qu'il faut encourager la "coopération entre les parties prenantes pour aborder et empêcher les activités illégales", en respectant une "procédure équitable". Or jamais le juge n'est impliqué dans cette procédure, où les acteurs privés doivent déterminer eux-mêmes la légalité ou non de contenus, et la peine à appliquer (filtrage, suppression…).
Une nouvelle gouvernance d'ici fin 2015, en principe
Sur le sujet premier de la Gouvernance, le texte pose de nombreux principes d'ouverture la plus large possible aux différentes parties prenantes et aux différents gouvernements, alors que l'ICANN est actuellement dépendante des Etats-Unis. La déclaration du NETmundial propose de renforcer le rôle de l'Internet Governance Forum (IGF), et demande que les propositions émises par le groupe de travail de l'ONU soient mises en place d'ici fin 2015.
"Suivant l'annonce récente et bienvenue de gouvernement des États-Unis à l'égard de son intention de transmettre la gestion des fonctions de l'IANA (qui gère l'affectation des adresses IP, ndlr), la discussion sur les mécanismes visant à garantir la transparence et la responsabilité de ces fonctions après que le rôle du gouvernement des États-Unis cesse, doit avoir lieu travers un processus ouvert avec la participation de toutes les parties prenantes s'étendant au-delà de la communauté de l'ICANN", ajoute le document.
Là aussi, let NETmundial appelle à ce que la transition soit réalisée d'ici septembre 2015, et prévient que toutes les parties prenantes doivent avoir une voix égale dans l'élaboration des mécanismes visant à succéder à l'ICANN. Or certains y voient paradoxalement une stratégie des Etats-Unis pour asseoir leur autorité sur Internet. "Les États-Unis ont accepté une réforme de la gouvernance, mais ils ont donné deux ans aux acteurs pour proposer un plan alternatif sérieux. Si dans deux ans ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord, les Américains se feront un plaisir d’affirmer que seul le système actuel fonctionne. Or, dans ce genre de négociations, nous sommes face à des professionnels de l’enfumage…", prévenait récemment dans Mediapart Stéphane Bortzmeyer, ingénieur expert des protocoles Internet.
La question de la transmission de la gouvernance du net à une organisation internationale de l'ONU, où les pays du Nord ne seraient plus dominants, fut un point de tension qui avait amené à l'échec de la conférence de Dubaï, il y a deux ans. Mais depuis, l'affaire Snowden et la volonté des Etats du Sud de se défaire de la dépendance américaine ont relancé les débats.
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