Voilà une nouvelle vague de traductions qui risque fort de ne pas convenir à tout le monde. Alors que la commission d’enrichissement de la langue française a opté pour des termes plutôt consensuels concernant le lexique relatif au domaine « cyber », les choix qu’elle vient d’opérer pour adapter en français des mots désignant des pans spécifiques du web ou des réseaux informatiques particuliers sont décevants.
Il est désormais recommandé de traduire « deepnet », « deep web », « hidden web » et « invisible web » par « toile profonde » ou « abysse ». La commission note que la « toile profonde » est la « partie de la toile qui n’est pas accessible aux internautes au moyen des moteurs de recherche usuels » — ce qui est exact, dans la mesure où c’est ce sens-là, celui disant qu’il s’agit des contenus qui ne sont pas référencés, qui s’est imposé.
En revanche, on peut regretter que la proposition « web profond » n’ait pas été retenue.
Certes, on sait bien que « web » est un terme anglais qui veut dire « toile », mais ce mot n’a-t-il pas dépassé son statut de terme étranger pour entrer dans le vocabulaire national, au même titre que « bunker », « football » ou « week-end » ? Le fait est en tout cas que rares sont les personnes à parler de la « toile », la majorité préférant parler du web, du net ou d’Internet, quitte à les confondre.
Étymologiquement, c’est un mot composé de clam (« en cachette, secrètement ») et de dies (« jour »), littéralement « dissimulé au jour » : voilà peut-être la voie plus ancestrale que cherchait à prendre la commission.
Mais la traduction la plus épineuse est celle retenue pour « dark net » ou « darknet ». La commission propose « Internet clandestin », en le définissant par « l’ensemble de réseaux conçus pour assurer l’anonymat des utilisateurs par la mise en œuvre d’une architecture décentralisée ainsi que de logiciels et d’autorisations d’accès spécifiques ». Jusqu’ici, rien d’anormal.
La commission poursuit en notant que le darknet « utilise notamment des réseaux privés virtuels ou pair à pair, ainsi que des méthodes de chiffrement et des processus de cooptation ». Mais elle ajoute ensuite que le darknet désigne « par extension, l’ensemble des activités, souvent illicites, qui y sont pratiquées ». Or, cette lecture de ce qu’est le dark net est contestable.
Désigne par extension, l’ensemble des activités, souvent illicites, qui y sont pratiquées
Le dark net n’est en fait qu’un réseau superposé, c’est-à-dire un réseau informatique bâti sur un autre réseau. Tor, Freenet et I2P sont des réseaux superposés qui ne sont accessibles que sous certaines conditions (d’où le dark dans le nom). C’est avec un réseau de ce type que l’on peut accéder aux ressources du dark web ; il faut utiliser le réseau Tor pour accéder à une adresse en .onion, par exemple.
Le dark web permet de rendre inaccessibles des ressources à des méthodes d’accès traditionnelles. Ainsi, il ne suffit pas d’avoir un navigateur Firefox, Chrome ou Edge et de faire une recherche sur Google, Qwant ou DuckDuckGo pour visiter un site placé dans le dark web. Il est nécessaire de passer par une porte d’accès précise, en général un logiciel spécial (Tor, I2P, Freenet…) et toutes ne donnent pas accès aux mêmes choses.
Réputation sulfureuse
Le problème, c’est que le dark web et par extension le dark net ont fini par avoir une réputation sulfureuse dans la mesure où il existe, effectivement, des espaces cherchant la clandestinité (sur le dark web, on peut trouver des contenus illicites, comme Silk Road, un site d’achat de produits stupéfiants).
Or, ces sites sulfureux (une réputation qui a aussi été gagnée par des articles sensationnalistes mettant en avant les travers du dark web, tout en ignorant les autres contenus tout à fait banals) ont tendance à faire davantage la Une que des sites de dark web tout à fait légaux et qui ne retiennent pas particulièrement l’attention.
Saviez-vous par exemple que Facebook a lancé une adresse sur le réseau Tor ? Dans le genre site illicite, il y a pire. Saviez-vous aussi qu’une étude britannique a conclu que Tor (un dark net permettant de voir des contenus sur le dark web, vous suivez ?) n’abriterait que très peu de propagande djihadiste, de forums ou de services spécialement dédiés aux activités terroristes ?
En outre, avec une telle définition, l’impression peut être donnée qu’à l’inverse du dark net, tout est rose sur le net classique : comme s’il n’y avait pas des activités déjà illicites qui se répandent à longueur de journée sur le web, qu’il s’agisse de contenus racistes, sexistes, négationnistes ou pédopornographiques. L’histoire a largement montré le contraire ; et si ce n’était pas le cas, une plateforme comme Pharos n’aurait pas lieu d’être.
La liste publiée au Journal officiel comporte d’autres termes qui interpellent moins, ceux-ci étant des noms de métier (chief data officier, data scientist), des aspects particuliers de l’informatique (infobox, knowledge graph, provisioning, responsive design, user interface et webmail).
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