C’est devenu une habitude : chaque année depuis deux ans, François Molins dénonce les effets du chiffrement des communications sur la résolution des enquêtes, dont celles ayant trait au terrorisme. C’était le cas en 2015 dans une tribune cosignée avec ses homologues américain et espagnol. C’était le cas en 2016 lors d’une intervention à la radio. C’est le cas en 2017 dans une déclaration commune.
Avec ses homologues espagnol, belge et marocain, François Molins explique vouloir, par ce communiqué du 5 octobre, « attirer à nouveau l’attention sur la question des évolutions techniques et du cryptage des communications ». Et le procureur de la République de Paris d’affirmer que « ces obstacles fragilisent considérablement nos enquêtes, parfois au point de les rendre impossibles ».
Ces obstacles fragilisent considérablement nos enquêtes, parfois au point de les rendre impossibles
Par conséquent, aux yeux des quatre procureurs, ces constats doivent amener les gouvernements à consentir « les investissements nécessaires pour permettre à nos services de sécurité de suivre ces évolutions, et, de l’autre, que les autorités nationales et internationales se mobilisent et mettent les sociétés commerciales impliquées face à leurs responsabilités ». Par la loi si nécessaire, lit-on en filigrane.
En France, cette requête ne laissera sans doute pas insensible la nouvelle majorité présidentielle. En effet, depuis le début de l’année, des déclarations de Gérard Collomb et Emmanuel Macron laissent entendre que la lutte antiterroriste est un motif légitime pour affaiblir la cryptographie et permettre aux enquêteurs de ne pas se retrouver bloqués sur un dossier. Mais est-ce vraiment le cas ?
« Un dossier ne repose jamais uniquement sur le contenu chiffré d’un ordinateur ou d’un téléphone. Il y a toujours d’autres éléments dans le dossier, et il s’agit d’ajouter encore des éléments de preuve pour le compléter », témoignait dans la presse un informaticien expert judiciaire. Il y a toujours d’autres actions que l’on peut mettre en œuvre (filatures, micros, écoutes, etc) pour avancer sur une enquête.
L’intéressé reconnaissait qu’il s’agissait d’un constat tiré de sa propre expérience et qu’il ne s’agissait pas de dire qu’il était forcément partagé parmi tous ses confrères ou chez les enquêteurs. Cependant, pour les affaires les plus graves, à savoir les cas d’homicides, le taux d’élucidation gravite autour des 90 % de succès. Il chute par contre à 15 % pour les vols avec violence et moins de 5 % pour les vols à la tire.
Il apparaît donc que les autorités sont déjà en mesure de résoudre 9 affaires graves sur 10 sans qu’il ne soit nécessaire d’affaiblir la protection des communications, grâce aux progrès gigantesques de la police technique et scientifique, aussi bien du point de vue des outils que des procédures sur la scène de crime, et des autres techniques à disposition des enquêteurs pour élucider les dossiers.
Pertes & gains
L’augmentation du taux d’élucidation par l’accès aux contenus des smartphones des suspects profiterait donc à quoi ? Aux infractions les moins graves ? Il n’est pas sûr que le jeu en vaille la chandelle : faut-il remettre en cause la cryptographie — ce qui ne profitera pas qu’aux autorités, mais aussi à tous ceux pouvant exploiter cette fragilité forcée — pour améliorer l’élucidation des vols à la tire ?
Sans doute est-ce plutôt pour gérer les actes de terrorisme, de violence ou tout autre crime ou délit qui pourrait être prévenu ou stoppé en ayant accès au contenu chiffré d’un terminal. Sauf que la législation propose déjà un arsenal plutôt étoffé pour ces cas de figure, outre le fait qu’il n’y a aucune garantie de trouver des choses utiles dans l’appareil (c’est ce qui s’est passé avec l’iPhone du tueur de San Bernardino).
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