Depuis 2012, les sinologues débattent de l’héritage porté par Xi Jinping, le secrétaire général du Parti communiste chinois, le situant tour à tour sur un spectre allant de Mao à Xiaoping.
Alors que le chef d’État de la deuxième économie mondiale se présente à sa propre succession lors du 19e Congrès du parti unique cette semaine, sa doctrine se dessine. Au cours du Congrès, une épreuve formelle qui le conduira logiquement à gouverner la Chine pendant 5 années supplémentaires, il s’est exprimé sur sa pensée pour le socialisme intégrant les particularités chinoises. Dans un discours de plus de trois heures, l’homme fort de l’Asie a évoqué une nouvelle ère pour une Chine revenue au centre du jeu mondial.
Fin de l’ère des réformes
Alors que l’année 2020 doit être celle de l’avènement d’une société de petite prospérité selon l’agenda du parti — recul net de la pauvreté et une classe moyenne prédominante — le chef d’État a incarné pour beaucoup la fin de l’ère des réformes et un retour à un régime autoritaire, dont l’évolution récente du web chinois est un bon indicateur.
Il est entendu qu’il est l’homme qui a mis fin à l’ère des réformes à cause du retour d’un pouvoir centralisé et la remise en cause de l’ordre établi du parti, notamment au travers de sa politique de lutte contre la corruption.
Grâce à cet axe majeur de son début de mandat, Xi Jinping a réussi à éliminer opposants internes, bureaucrates installés et industriels influents en utilisant le motif de cette lutte au nom des Chinois. Marie Holzman, présidente de Solidarité Chine, explique ainsi à FranceInfo : « De 2012 à 2017, Xi Jinping a mis en prison 1 300 000 personnes sous prétexte de corruption. […] Il a censuré les intellectuels, il a mis en prison les avocats défenseurs des droits civiques. Maintenant, il s’attaque aux patrons d’usine qui ont le mieux réussi. Un certain nombre d’entre eux ont été arrêtés pendant cette incroyable campagne qui a duré cinq ans. »
Dans la façon dont il a réintroduit de l’arbitraire dans le régime chinois, Xi Jinping pourrait revendiquer un héritage maoïste, mais il demeure un homme du millénaire malgré sa génération, prêt à mélanger modernité et socialisme chinois. À ce titre, l’ère Jinping doit également être regardée par le biais de l’évolution du web chinois qui a contrario du discours économique populaire en Chine, se referme inéluctablement. Si la Chine exporte ses services web, cela se traduit par la sortie d’Alibaba des frontières chinoises, mais également de Baidu, installé en Californie par exemple. La deuxième économie mondiale reste imperméable au web occidental.
L’impénétrable web chinois
Un mouvement double qui s’explique par un fait d’abord historique : l’implantation de Google en Chine, malgré l’idée reçue, n’a pas été empêchée par le régime, mais ratée en raison des mauvaises performances du moteur avec le mandarin. Puis, les relations avec Washington et les géants deviendront diplomatiques, ce qui ajoutera une barrière politique à la barrière linguistique.
Cette fracture a été précipitée par le choc de l’Opération Aurora, cyber-attaque chinoise à l’encontre des entreprises américaines qui a créé un précédent indélébile. Mais avant d’être un choix, le Grand pare-feu chinois est linguistique et économique, et va accélérer le développement de géants locaux aujourd’hui titanesques : Tencent, Alibaba, Baidu, etc.
Xi Jinping n’a pas modifié cette constitution du web chinois et a plutôt poursuivi la voie d’un isolement plus ferme de celui-ci. Ainsi, la lutte contre les VPN est devenue une politique de l’Etat qui est allé jusqu’à forcer la main à Apple. Ces derniers représentaient une percée du grand pare-feu, une fenêtre utilisée par les expatriés et les locaux pour voir le web sans censure, ils sont désormais interdits et techniquement contrés.
En outre, cette fermeture s’est accompagnée d’une censure délibérée qu’il est difficile de mesurer. S’est-elle renforcée sur le web chinois ? D’un point de vue réglementaire : dramatiquement. Quant à l’agence du cyberespace chinois (CAC), le gouvernement de Jinping a augmenté ses attributions et investi des nouveaux terrains de surveillance.
La censure colonise le web chinois
Le règlement et les pouvoirs de cette dernière ont sensiblement augmenté ces cinq dernières années. Ainsi, elle s’est vue devenir responsable de la régulation et surveillance des boutiques d’application (App Store), d’une pression accrue sur la presse notamment en ligne, de l’interdiction pour les réseaux sociaux de diffuser de l’information, enfin, de la gestion des fournisseurs d’accès Internet qui dépendent désormais du régime.
Il ne s’agit là que des réformes documentés par la presse occidentale mais qui témoigne d’une vivacité du CAC, et par extension, du régime, face au web. Le départ, en juin 2016, du responsable du Grand pare-feu, Lu Wei n’a manifestement pas changé la doctrine chinoise qui s’est même affermie.
En outre, il faut également compter dans cet arsenal autoritaire les dispositifs de surveillance des populations ouïghours. Au cours des 5 dernières années, le régime de Xi Jinping a en effet déployé des efforts technologiques conséquents pour imaginer un système répressif et omniscient dans ces régions de l’Ouest. Traqueurs GPS sur les véhicules imposés par les forces de l’ordre, et applications mouchard installées de force sur les smartphones des populations musulmanes, Beijing a innové pour renforcer la mise au ban de ces territoires. Un discours sécuritaire qui viendrait mettre Jinping dans l’héritage de Mao mais qui se contredit, sciemment, dans les rencontres multilatérales au cœur desquelles la Chine aspire à un nouveau rôle.
Le forum économique de Davos restera comme une date importante du mandat du secrétaire général. Alors que les États-Unis sortaient affaiblis de leurs élections, la Chine tentait de prendre la lumière et s’imposait en défenseur de l’économie ouverte, du multilatéralisme et même de l’environnement. Le tigre de papier voyait le socialisme chinois triompher, au moins le temps d’un forum. Et à cette occasion précise, la verve de Jinping rappelait Xiaoping.
Toutefois faire de Xi Jinping une figure réformiste, pragmatique, désintéressée de sa part mystique serait une erreur : ses citations du confucianisme, son intérêt pour une culture chinoise et sa volonté d’inscrire son oeuvre dans un accomplissement chinois millénaire sont une part importante de sa politique.
C’est dans les salles obscures que cette face du régime s’est montrée : en pleine réforme du cinéma et de son financement, Beijing a insisté, quitte à aller à l’encontre des géants comme le groupe Wanda, pour voir dans les œuvres exploitées sur son marché « des valeurs du socialisme ». Pratiquant la censure pour les films qui iraient à l’encontre des valeurs chinoises, le gouvernement a en outre défendu un principe de mise en valeur de l’histoire chinoise dans des œuvres, même américaines.
Kung Fu Panda restera un symbole de cette politique : un film américain financé en partie par un groupe chinois qui a mis en scène des clichés positifs de la Chine, résultant à un succès colossal au box-office local.
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