La Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme, Navi Pillay, a affirmé mercredi que l'ONU avait des "preuves fortes" d'une collaboration croissante entre les entreprises privées et les gouvernements, pour l'espionnage de la population, avec des méthodes de collecte de données qui dépassent le cadre autorisé par la loi.
Dans un rapport (.pdf) sur "le droit à la vie privée à l'ère numérique" publié mercredi, qu'il présentera à l'Assemblée Générale de l'ONU en octobre prochain, le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme s'inquiète du fait que la surveillance massive de la population devient "une dangereuse habitude plutôt qu'une mesure exceptionnelle", et que dans beaucoup de pays les pratiques révéleraient "un manque de législation nationale et/ou d'exécution appropriée, des garanties procédurales faibles, et un contrôle inefficace".
Selon Mme Pillay, il serait exercé une "contrainte de fait sur les entreprises du secteur privé pour qu'elles fournissent un accès global ("sweeping access") aux informations et aux données liées à des particuliers, sans leur consentement et sans qu'ils en aient connaissance". Elle estime que ces collaborations secrètes entre les entreprises privées et les gouvernements ne permettent pas à l'ONU de faire son travail de contrôle du respect des droits de l'homme, en particulier du respect du droit à la vie privée.
Le rapport rappelle que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par 167 états, dispose dans son article 17 que "nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance" et que "toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes". Le Haut-Commissariat estime qu'il est donc de la responsabilité des gouvernements de dire en quoi leurs programmes de surveillance massive ne seraient ni arbitraires ni illégaux.
Penser à la botte de foin autant qu'à l'aiguille
Or, le rapport prévient que les programmes de surveillance de masse peuvent être jugés arbitraires, "même s'ils servent un objectif légitime". Par une métaphore, le Haut-Commissariat explique qu'il n'est "pas suffisant que les mesures soient destinées à trouver certaines aiguilles dans une botte de foin". "La bonne mesure est l'impact des mesures sur la botte de foin, par rapport à la menace de préjudice".
Il s'oppose ainsi à toute obligation générale de conservation de données par les opérateurs privés, en estimant que ce n'est "ni nécessaire ni proportionné". Un avis plus radical encore que celui de la CJUE, qui a condamné en avril dernier le caractère disproportionné de certaines exigences de conservation de données en Europe.
Le rapport demande aux entreprises privées qui sont sollicitées de s'opposer autant que possible aux demandes gouvernementales qui seraient trop larges, et demande aux états de créer une "agence civile indépendante" pour contrôler les programmes de surveillance. En France par exemple, la loi de programmation militaire (LPM) a offert de nouveaux pouvoirs de collecte de données aux agents de l'Etat, en confiant son seul contrôle à une "Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité" (CNCIS) qui n'est composée que de trois membres dont deux parlementaires, et un président nommé par l'Elysée.
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