Dans un entretien accordé au Monde, la ministre de la culture Fleur Pellerin a posé les jalons de sa politique en matière de droit d'auteur sur Internet. Elle a confirmé l'abandon du projet de fusion entre le CSA et la Hadopi et ajouté que la riposte graduée sera maintenue en l'état. De plus, l'effort va désormais être orienté vers la lutte contre les sites spécialisés dans le streaming et le téléchargement direct (DDL).
Dans le collimateur du gouvernement se trouve en priorité les sites faisant commerce du piratage. Plusieurs rapports ont déjà été produits en la matière, comme celui de Mireille Imbert-Quaretta (présidente de la commission de protection des droits) et celui de Marc Robert (magistrat), orienté sur la cybercriminalité. Chacun dans leur domaine propose des pistes à l'exécutif pour contrer ce phénomène.
La Hadopi elle-même a dévoilé son plan d'action contre les sites illicites de streaming et de DDL. Elle suggère en particulier de contourner le juge pour faire pression sur les intermédiaires techniques ou financiers qui aideraient ces sites à prospérer.
Lutter contre la contrefaçon commerciale, mais pas n'importe comment
Mais comme le souligne la Quadrature du Net qui critique le plan de Fleur Pellerin, le développement de la contrefaçon commerciale est le résultat d'une politique de répression du partage sans intérêt commercial entre internautes. Et la mise en place de la riposte graduée a favorisé le repli des internautes vers des solutions qui sont aujourd'hui dans le collimateur des ayants droit.
Certes, ce n'est pas la loi Hadopi fait que la contrefaçon commerciale existe. Mais sans elle et avec une loi favorable au partage entre particuliers, le P2P aurait eu matière à prospérer.
C'est pourquoi la Quadrature du Net, qui confirme elle aussi son hostilité au piratage à vocation commerciale, rappelle qu'elle propose de légaliser le partage non marchand entre les internautes. En d'autres termes, les échanges sur les réseaux P2P, sur les réseaux FTP, canaux IRC, espaces de stockage privés auto-hébergés…
"Le meilleur moyen de lutter contre ces formes d'échanges consiste à légaliser le partage non-marchand entre individus, afin de favoriser un retour vers le P2P et BitTorrent. En ciblant uniquement ces usages décentralisés, la Hadopi a elle-même causé un déplacement des usages vers le streaming et le direct download, en dehors de son radar", explique la Quadrature du Net.
Pour l'association, c'est parce que les autorités sont allées à l'encontre de l'évolution profonde des pratiques sur le net que la situation est ce qu'elle est aujourd'hui. "L'aveuglement du dispositif répressif est donc directement responsable de l'évolution de la situation et seule une sortie de la spirale de cette guerre au partage peut apporter une solution, sans entamer davantage les libertés fondamentales".
Les bénéfices d'une légalisation des échanges non-marchands
Pourtant, le gouvernement serait bien inspiré de réfléchir à la légalisation du partage non-marchand. Car en faisant sortir les internautes du maquis numérique, c'est à dire en les incitant à délaisser le streaming et le DDL au profit du P2P, plusieurs bénéfices sont à attendre.
Sur le plan démocratique, légaliser les échanges entre particuliers éviterait de recourir à des solutions privatisées plutôt qu'à la Justice pour lutter contre un délit qui, de toute façon, n'existerait plus. Rappelons que le rapport de Mireille Imbert-Quaretta propose d'écarter l'action judiciaire au profit de l'action privée des intermédiaires financiers et des hébergeurs, avec le concours des services de l'État. Un point inacceptable.
Le P2P, c'est bien mieux pour la neutralité du net
Mais ce n'est pas tout. Des dispositions en faveur de la légalisation des échanges non-marchands permettraient d'agir en faveur de la neutralité du net, en rééquilibrant et en redistribuant les flux entrants et sortants. Car contrairement au P2P, les échanges dans le streaming et le DDL sont très centralisés et fortement déséquilibrés (pour ne pas dire à sens unique).
Avec le déplacement des internautes vers les plateformes de streaming et de DDL, les relations entre les fournisseurs d'accès à Internet et les opérateurs de transit, qui servent d'intermédiaires avec les hébergeurs de contenus, se sont considérablement durcies. L'effort n'est plus réparti à travers le réseau, mais se concentre entre quelques acteurs qui doivent gérer un trafic considérable.
Le conflit entre MegaVideo, filiale de MegaUpload, et Orange a donné un aperçu des dérapages qui pourraient survenir. Les opérateurs pourraient être tentés d'enfreindre la neutralité des réseaux, notamment pour forcer leurs clients à passer par leurs services, qui ne sont pas affectés des mêmes restrictions que celles touchant des plateformes utilisant les services de certains transitaires.
Comme nous l'avions dit déjà il y a trois ans, la santé d'Internet dépend en grande partie de la santé du P2P, quelle que soit la forme technologique qu'il prendra. Or c'est aussi à la loi d'évoluer pour favoriser ces échanges symétriques, alors que la loi est encore conçue, inspirée par les médias d'antan, pour concentrer dans quelques mains les droits de diffusion et ne faire du public que des consommateurs. Changez la loi, et c'est un nouveau modèle social culturel qui naîtra, et une meilleure vitalité du net qui sera assurée
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