Le Gouvernement a présenté ce mercredi en Conseil des ministres le projet de loi de finances, qui permet de connaître les ventilations budgétaires des différents ministères. Selon 01Net, il prévoit que le budget de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) passera comme prévu à 6 millions d'euros. En réalité la dotation reçue du ministère de la Culture restera à un niveau identique à celui de l'an dernier, mais le budget réel de l'autorité administrative va baisser.
En effet, pour 2014, l'Hadopi avait pu puiser dans ses réserves pour ajouter 2,5 millions d'euros aux 6 millions reçus de l'Etat, et obtenir un total de 8,5 millions d'euros de budget. Mais désormais les caisses sont vides, et la Haute Autorité n'a plus aucune marge de manoeuvre. Elle aura 6 millions d'euros pour fonctionner, et 6 millions seulement.
Or ce budget qui s'est réduit de moitié depuis la création de l'Hadopi en 2009 est jugé par la rue du Texel comme étant tout juste suffisant pour continuer à faire tourner la riposte graduée à plein régime. Il permet de payer les agents censés vérifier la conformité des PV transmis par les ayants droit, de payer ceux chargés de répondre aux internautes avertis, de payer les fonctionnaires dédiés à l'envoi des courriers recommandés, ou encore d'assurer le maintien des systèmes d'information qui permettent de traiter et d'archiver les millions d'adresses IP reçues. Il devrait aussi permettre à la Commission de protection des droits (CPD) de mettre en oeuvre son plan de bataille contre les sites de streaming et DDL illégaux.
La riposte graduée : un tiers des missions, l'essentiel du budget
Si tant est qu'elle continue d'affecter une très large part de son budget à la riposte graduée, ce qui semble être la direction envisagée, il ne restera donc plus d'argent, ou de façon très résiduelle, pour que l'Hadopi continue efficacement ses autres missions. Selon l'article 331-13 du code de la propriété intellectuelle, l'Hadopi doit assurer trois types de missions :
- "Une mission d'encouragement au développement de l'offre légale et d'observation de l'utilisation licite et illicite des œuvres et des objets auxquels est attaché un droit d'auteur ou un droit voisin sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne" (c'est essentiellement la labellisation des plateformes, mais aussi la DREV chargée des études sur les pratiques des internautes, avec un discours parfois contraire celui des ayants droits) ;
- "Une mission de protection de ces œuvres et objets à l'égard des atteintes à ces droits commises sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne" (c'est la fameuse riposte graduée) ;
- "Une mission de régulation et de veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d'identification des œuvres et des objets protégés par un droit d'auteur ou par un droit voisin" (c'est la régulation des DRM qui a permis récemment de faire respecter l'exception de copie privée par les FAI).
La loi dit aussi que la Haute Autorité "peut recommander toute modification législative ou réglementaire", ce qui lui permet d'organiser des travaux tels que ceux sur une éventuelle légalisation du partage non marchand, redoutée par les ayants droit.
Juridiquement, il n'y a pas une mission plus importante que l'autre. La loi ne hiérarchise pas. Toutes doivent être assumées par l'Hadopi avec le même sérieux. Si le budget global baisse, toutes les missions doivent en pâtir. Pas l'une plus que l'autre.
L'indépendance, ça se prouve
Mais politiquement, ayants droit et Gouvernement font pression sur l'Hadopi pour qu'elle continue à assurer au même niveau volumétrique une riposte graduée qu'elle sait largement inefficiente. Ils exigent qu'elle saborde donc ses autres travaux, en particulier sur la Rémunération Proportionnelle du Partage, vue comme une véritable provocation, malgré le soin apporté par l'Hadopi à rassurer les ayants droits.
L'Hadopi n'a donc plus le choix. Elle doit assumer l'indépendance affirmée dans la loi et choisir son destin. Elle peut se coucher devant les pressions et accepter de n'être que l'expéditeur zélé des courriers d'avertissements que les ayants droit lui demandent de transmettre aux internautes. Ou elle peut choisir de mourir dignement en sabordant en partie la riposte graduée au risque sans doute d'en payer le prix lors de la prochaine dotation budgétaire — ce qui en dit long sur la réalité de son "indépendance".
De ce choix dépendra le crédit que les internautes accepteront de donner ou non aux signes d'ouverture envoyés par l'Hadopi depuis ses débuts. Etait-ce un simple discours destiné à faire oublier le rôle premier de la riposte graduée ? Ou était-ce une véritable volonté d'impulser une autre politique face au piratage ?
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