Interrogé par les députés européens, le futur commissaire responsable du numérique a envoyé des signaux très inquiétants concernant sa connaissance des sujets et a pris des positions défavorables sur la neutralité du net ou le logiciel libre.

C'est à se demander s'il ne va pas falloir rappeler en urgence Neelie Kroes pour s'occuper du numérique au sein de la future Commission Juncker, tant Günther Oettinger a fait mauvaise impression lors de son audition devant les députés européens. En effet, l'Allemand a envoyé des signaux inquiétants sur certains dossiers et laissé transparaître une connaissance limitée sur les enjeux du numérique.

Günther Oettinger était pourtant attendu au tournant, en témoignent les nombreuses questions récoltées par Julia Reda, la seule élue du Parti Pirate au Parlement européen, qui a voulu à cette occasion donner la parole aux Européens en relayant leurs préoccupations : neutralité du net, fair use, promotion du chiffrement, fonds de soutien à Linux, harmonisation du droit d'auteur…

Internet à deux vitesses

En fait, l'Allemand – qui était auparavant responsable de l'énergie au sein de la Commission Barroso – a semblé surtout privilégier la dimension économique dans ses réponses, au détriment de toutes les autres, alors que l'économie numérique ne peut se dissocier du reste du numérique. "Tout pour l'industrie, rien pour les citoyens", s'agace La Quadrature du Net, qui milite en particulier pour une défense stricte de la neutralité du net.

Günther Oettinger a ainsi "soutenu l'idée que la neutralité du net devait être "progressive" et dépendre du prix payé par l'abonné. Ce faisant, il a explicitement plaidé pour l'avènement d'un Internet à deux vitesses, discriminant les internautes 'lambdas"". Cette position "montre non seulement qu'il ignore tout des enjeux cruciaux qu'elle recouvre, mais aussi qu'il est tout-à-fait disposé à se plier au lobbying des opérateurs télécoms"

Refus de répondre sur le logiciel libre

Le nouveau commissaire en charge du portefeuille de l'économie et la société numériques n'est pas davantage intéressé par le logiciel libre. En tout cas, ce sujet lui importe tellement peu qu'il a refusé de répondre à une question sur ce sujet, relève l'APRIL, dont la mission est justement de promouvoir et défendre le logiciel libre en France et, à travers elle, en Europe.

Günther Oettinger "a honteusement refusé de répondre à une question portant sur le développement du logiciel libre", s'indigne l'APRIL. "L'April se montre consternée par l'attitude désobligeante de Günther Oettinger". "Si le Parlement ne révoque pas Günther Oettinger, il faudra être mobilisé pendant la législature européenne pour promouvoir et défendre les droits fondamentaux à l'ère du numérique".

Des photos nues piratées ? La faute aux victimes

Le nouveau membre de la Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker a aussi eu l'occasion de s'exprimer sur la fuite de photos personnelles appartenant à des personnalités américaines. Et loin de soutenir moralement les victimes de ce piratage, Günther Oettinger a pointé leur "stupidité" et rejeté la faute sur elle. Elle n'avait pas qu'à se photographier, en somme.

"Il y a eu récemment de nombreuses célébrités qui se sont plaintes que des photos dénudées apparaissent sur Internet. Je ne peux juste pas le croire! Si une star est assez stupide pour faire une photo d'elle nue et l'envoyer sur le web, elle ne peut pas attendre de nous qu'on la protège. On ne peut pas protéger entièrement les gens de leur bêtise", a-t-il déclaré, dans des propos repris notamment par Slate et le Guardian.

Ce manque d'empathie a été dénoncé par Julia Reda sur son blog.  Comme le pointait Damien Leloup, journaliste au Monde, "rejeter la faute sur la victime, c'est s'affranchir à bon compte de réflexions plus embarrassantes sur notre responsabilité individuelle ou collective". C'est aussi oublier que les stars ont le droit d'être nues chez elles et qu'elles ne doivent pas payer parce qu'un pirate a réussi à accéder à certains contenus privés.

Le manque de maîtrise de Günther Oettinger sur le numérique (tout comme dans l'énergie, relèvait Die Zeit) ne devrait pas être suffisant pour lui barrer la route, même s'il reste encore plusieurs étapes à franchir jusqu'au 22 octobre, date où il y aura le vote en session plénière. En tout cas, les associations et les citoyens préoccupés par les sujets du numérique savent à quoi s'en tenir.

( photo : CC BY Jacques Grießmayer )

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