Adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 18 septembre, le projet de loi anti-terroriste a été transmis au Sénat le même jour. Examiné par la commission des lois, le texte sera désormais discuté en séance publique les 15 et 16 octobre 2014. Il ne sera débattu qu'une seule fois par la chambre haute, du fait de la procédure accélérée engagée par le gouvernement.
Défendu par le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, le projet de loi est composé de trois grandes mesures : la création d'un délit d'entreprise individuelle de terrorisme pour combattre plus efficacement les "loups solitaires", la restriction de sortie de territoire pour les Français cherchant à se rendre dans certaines zones de conflit et la lutte contre la propagande terroriste sur Internet.
Un texte particulièrement controversé
Mais le texte est très controversé.
Cet été, le conseil national du numérique a rendu avis très sévère contre la censure des sites, jugeant que le blocage administratif des sites de propagande terroriste serait "techniquement inefficace", "inadapté", et insuffisamment protecteur des libertés de chacun. L'association La Quadrature du Net s'est aussi mobilisée contre cette loi, en lançant notamment un site dédié (Présumés terroristes).
Plus récemment, la commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) s'est également prononcée, en dénonçant en particulier le blocage administratif des sites terroristes et en réclamant le retour du juge judiciaire dans le processus. La CNCDH a par ailleurs réclamé le retour de la subsidiarité, qui permet d'agir graduellement contre un contenu illicite sur le net.
Des pouvoirs étendus, des garanties insuffisantes
Cette fois, c'est l'ONG Human Rights Watch (HRW) qui a pris la parole sur ce texte en remarquant que les mesures du texte "étendent de manière significative les pouvoirs du gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme alors que les critères de preuve qu'elles imposent sont exprimés en termes généraux et vagues, avec des garanties insuffisantes en ce qui concerne la régularité des procédures".
L'ONG, qui fait part de sa "grave préoccupation", considère que "leur adoption résulterait en l'imposition de restrictions aux droits fondamentaux d'une ampleur totalement inutile et hors de proportion avec le but avoué de ces mesures", alors même que "le gouvernement français dispose déjà de pouvoirs très étendus en matière de lutte contre le terrorisme", note Izza Leghtas, chercheuse au sein de HRW.
Les mauvais effets du blocage
Passant en revue les articles-clés du texte, Human Rights Watch s'est en particulier attardée l'article 9 (celui sur le blocage), en s'appuyant sur l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme et l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
"Si la liberté d'expression peut faire l'objet de restrictions pour des motifs de sécurité nationale stipulent que ces restrictions doivent non seulement être nécessaires pour atteindre ce but mais elles doivent aussi être proportionnées à sa réalisation. Il existe un risque réel que cette disposition ait un effet dissuasif sur l'expression libre, tout en étant inefficace pour contrer le recrutement de terroristes", écrit l'ONG.
De plus, la France risque de donner le mauvais exemple à l'étranger. "Le projet de loi français pourrait aussi être utilisé par des gouvernements abusifs dans d'autres pays, pour justifier la censure des sites internet qui critiquent les responsables gouvernementaux ou expriment des points de vue dissidents, et où les détracteurs du gouvernement sont facilement étiquetés comme « terroristes »".
Du temps pour le débat
Considérant que l'adoption en l'état du texte anti-terroriste constituerait une infraction au droit aux libertés de mouvement et d'expression, HRW laide pour une discussion parlementaire approfondie au lieu de presser le pas en optant pour une procédure législative accélérée. D'autant que la saisine du conseil constitutionnel est très incertaine au regard de la position des parlementaires sur le sujet du terrorisme.
"Le gouvernement devrait donc donner au parlement le temps nécessaire pour s'assurer que les garanties adéquates soient mises en place, plutôt que de pousser à l'adoption de cette nouvelle législation par une procédure d'urgence qui ne laisse pas assez de temps pour un véritable débat", conclut ainsi l'organisation non gouvernementale.
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