Ces prochains jours, le Parlement examinera sous procédure accélérée le projet de loi "d'adaptation au droit de l'Union Européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel". Son premier objectif est de transposer en France la directive européenne qui allonge à 70 ans la durée des droits des maisons de disques et des artistes-interprètes, contre 50 ans actuellement. Adoptée en 2011, la directive aurait dû être transposée dès 2013, mais la France accuse un retard que le ministère de la Culture entend bien combler avant la fin de l'année.
En pratique, cette transposition aura pour effet de réduire encore la voilure du domaine public, pour étendre de deux décennies la durée pendant laquelle les producteurs de phonogrammes, c'est-à-dire les maisons de disques, peuvent exploiter à titre exclusif les enregistrements qu'ils ont réalisés.
Dans l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi, le ministère de la culture justifie cet allongement. "Pour les producteurs de phonogrammes, l’enjeu principal concerne les revenus tirés de l’exploitation de catalogues de phonogrammes commercialisés à partir de 1963", assume la Rue de Valois. Sans l'extension, ces catalogues qui intègrent notamment les premiers grands succès des Beatles ou de Johnny Hallyday auraient été libres d'exploitation (sous réserve des droits des auteurs et compositeurs) à partir de 2014. Or, "ces catalogues sont importants puisqu’ils se sont constitués dans une période marquée par l’essor du microsillon (l'ancêtre du CD, ndlr), la consommation de masse et le développement de répertoires de variété aussi bien nationale qu’internationale".
Les fonds de catalogue plus importants qu'hier
De plus, les plateformes de streaming qui permettent d'écouter des chansons en illimité renforcent l'intérêt pour l'exploitation commerciale des anciens tubes. "L'évolution des modes de consommation de la musique enregistrée dans l’univers numérique, sans doute encore grevée d’incertitudes sur les modèles économiques durables, laisse apparaître des tendances favorables à l’exploitation des fonds de catalogues", explique ainsi le ministère. "La numérisation déployée depuis le début des années 2000 s’est accompagnée d’une hypothèse théorique selon laquelle, à une économie de « hits » devait pouvoir se substituer une économie de niches, favorable à la ré-exploitation des fonds de catalogue".
Aujourd'hui plus encore qu'hier, avec les Deezer, YouTube ou Spotify, l'important n'est plus tant de détenir les droits sur le dernier artiste à la mode que d'avoir le catalogue le plus large possible, qui couvre le plus d'artistes et d'époques possibles. Il faut multiplier les petites rivières qui viennent alimenter le fleuve.
"L’allongement de la durée des droits voisins étant progressif, il produit des effets marginaux mais croissant annuellement", précise le ministère, qui fournit à l'appui un graphique éloquent tiré d'un rapport encore inédit de l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), réalisé en septembre 2014. Il montre que d'ici quinze ans, les maisons de disques pourraient générer 3,5 millions d'euros de chiffre d'affaires supplémentaire en ne faisant rien de plus, juste par l'effet mécanique de l'allongement des droits :
Néanmoins, convient l'étude d'impact, "l’un des facteurs clés d’un impact positif de l’application de la directive durée tiendra aux politiques éditoriales que les producteurs de phonogrammes définiront". Tout dépend en effet de la capacité qu'auront les maisons de disques à mettre en valeur leurs vieilles productions, pour donner envie aux internautes de les écouter.
Or tout l'intérêt du domaine public est justement de ne pas laisser ce pouvoir de mise en valeur qu'aux seules maisons de disques, mais de le redonner au public lui-même. C'est aussi et surtout un aspect culturel, que le ministère de la culture oublie d'aborder.
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