La justice européenne a écarté les arguments développés par les États-Unis pour justifier son intervention dans le conflit juridique entre la Commission européenne d’une part et l’Irlande et Apple d’autre part. Pour le Tribunal, aucune preuve n’a été avancée par Washington

Face à l’Union européenne, Apple devra se passer de l’aide des États-Unis. En effet, la tentative d’intervention de Washington dans le conflit juridique opposant la firme de Cupertino à la Commission au sujet du régime fiscal accordé par l’Irlande à la société américaine — que Bruxelles qualifie d’aide d’État — a été évacuée par le Tribunal de l’Union européenne.

C’est un revers pour Apple, qui aurait apprécié le soutien de son gouvernement face aux juges européens. En effet, dans son ordonnance rendue le 15 décembre, l’organe juridictionnel du Vieux Continent a considéré que la Maison-Blanche, contrairement à ce qu’elle a essayé d’affirmer, n’a aucun « intérêt direct » à agir dans la résolution du litige entre les deux parties.

Rappel des faits.

Mi-2016, la Commission européenne a déclaré que l’Irlande avait accordé à Apple des aides fiscales indues, après deux ans d’enquête sur le montage financier dont la firme américaine a bénéficié dans le pays. L’Union européenne exige un remboursement de 13 milliards d’euros. À la suite de cette décision majeure, des appels ont été déposés par Dublin et Apple en vue de s’y opposer.

Si l’opposition d’Apple est compréhensible — c’est à elle d’ouvrir son porte-monnaie pour procéder à la restitution –, celle de l’Irlande est moins évidente à saisir : pourquoi faire l’impasse sur une telle somme, alors qu’elle lui est est légalement due ? En fait, le gouvernement irlandais préfère sauver sa très souple souveraineté fiscale, dont elle joue pour attirer les multinationales, plutôt que d’être remboursé.

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Une infographie récapitulative concoctée par Bruxelles.

Arguments infondés de Washington

Le Tribunal a pris le temps d’analyser les différents arguments développés par leurs avocats pour déterminer si les États-Unis avaient voix au chapitre. Aucun n’a trouvé grâce aux yeux des magistrats, essentiellement parce que les preuves américaines n’ont jamais été présentées pendant l’instruction. Dans ces conditions, impossible de donner suite à la demande d’intervention de la Maison-Blanche.

La thèse principale avancée outre-Atlantique porte sur des « prétendus effets négatifs sur la situation économique » de l’Amérique, si Apple doit effectivement rendre 13 milliards d’euros d’impôts à Dublin.

Washington laisse entendre que la décision de Bruxelles aura des « effets négatifs » sur sa situation économique

Mais pour le Tribunal, ces conséquences prétendument néfastes pour l’économie américaine sont en réalité « conditionnées par plusieurs événements, dont la survenance est loin d’être certaine, à savoir le rapatriement des bénéfices des filiales off-shore de la société mère du groupe ». En effet, Apple fait dormir son trésor de guerre dans des paradis fiscaux et transfert vers les USA n’est à l’ordre du jour.

« Force est de constater que les États-Unis n’ont pas présenté d’éléments de preuve établissant le caractère certain du rapatriement des bénéfices des filiales off-shore [d’Apple]. Partant, cette décision ne saurait être considérée comme étant automatique, la société mère des requérantes étant souveraine à cet égard », écrit le Tribunal de l’Union européenne.

cjue cour justice

Cour de justice de l'Union européenne.

Source : Transparency International EU Office

Dès lors, il est impossible de valider l’hypothèse de Washington selon laquelle sa situation économique « se verrait affectée que si [Apple] décidait de rapatrier les bénéfices de ses filiales off-shore ». En effet, si Apple évoque parfois ce scénario, sur lequel la Maison-Blanche brode en prétendant que cela reviendrait à prélever dans les poches du contribuable américain, il n’a jamais été concrétisé.

Ibec

Le Tribunal de l’Union européenne a également rejeté la demande d’intervention de l’Ibec, une entité représentative des sociétés nationales et multinationales actives en Irlande, estimant qu’elle n’a pas non plus démontré d’intérêt direct et actuel à agir.

Le Tribunal a aussi balayé l’argument suggérant que la décision de la Commission « nuirait à leurs efforts pour développer des normes en matière de prix de transfert dans le cadre de l’OCDE ». « Aucun lien direct apparent n’existe » entre ces deux thématiques, estime le Tribunal « et, ce, d’autant plus que celles-ci sont établies de manière collective par les membres de l’OCDE et non par les efforts d’un seul État ».

En outre, si un lien existe, Washington n’a pas démontré que cela affaiblirait sa capacité à légiférer dans ce sens. « Les États-Unis n’avancent aucun élément de preuve spécifique qui étaye leur affirmation selon laquelle la décision attaquée nuirait à leurs efforts pour développer ces normes », écrivent les magistrats européens. Idem pour l’hypothèse selon laquelle cette affaire « aurait une incidence négative sur la capacité des États membres d’honorer leurs obligations découlant des conventions fiscales bilatérales signées entre eux et ces États membres ».

Maison Blanche Washington USA

CC Alexey Topolyanskiy

Là encore, « aucun élément de preuve » permettant d’établir un lien entre la décision bruxelloise et les conventions fiscales bilatérales que les USA ont signées avec les États membres n’a été avancé, ou démontrant « comment la solution au présent litige affecterait précisément lesdites conventions ».

Enfin, sur la prétexte brandi par les USA pour s’ingérer dans une affaire européenne en affirmant que « leur intervention pourrait aider le Tribunal dans la compréhension du droit fiscal de leur pays », les magistrats ont surtout noté qu’il faudrait d’abord que Washington comprenne comme fonctionne le droit européen : « une intervention ne peut avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties, ce qui exclut une intervention visant à aider le Tribunal dans la compréhension du droit ».

La mise à l’écart  de Washington dans ce dossier ne devrait probablement pas dissuader l’administration américaine de continuer à mettre la pression sur l’Union européenne. En août 2016, le mois où la Commission rendait son avis sur le régime fiscal d’Apple accordé par l’Irlande et ordonnait la restitution des montants concernés, le gouvernement alors dirigé par Barack Obama avait publié un livre blanc.

Dans celui-ci, la Commission européenne était mise en garde sur d’éventuelles rétorsions si elle venait à infliger un redressement fiscal historique à Apple. Le département du Trésor avait dit «  continuer à réfléchir aux réponses potentielles  » qu’il pourrait adresser, et qu’un « résultat fortement préférable et mutuellement bénéfique serait de revenir vers le système et la pratique des coopérations fiscales internationales ».

En attendant, le bras de fer fiscal se poursuit. Et indépendamment de l’issue de ce dossier, Apple et l’Irlande ont convenu de mettre en place un compte bloqué sur lequel la firme de Cupertino déposera à terme 13 milliards d’euros. Les montants seront reversés à Dublin si les actions en justice ne permettent pas d’empêcher ce versement.

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